Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/27

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où il était de se bannir pour la rendre plus prompte et plus entière.

Le général Lallemand qui, condamné à mort, était intéressé pour son propre compte dans la résolution que l’on pouvait prendre, demanda au capitaine Maitland, avec qui il avait été jadis de connaissance en Égypte, dont il avait même été, je crois, le prisonnier, si quelqu’un tel que lui, compromis dans les troubles civils de son pays, pouvait avoir jamais à craindre d’être livré à la France, venant ainsi volontairement en Angleterre Le capitaine Maitland affirma que non, et repoussa le doute comme une injure. Avant de nous quitter, nous nous résumâmes. Je répétai qu’il serait possible que, vu les circonstances et les intentions arrêtées de l’Empereur, il se rendît, d’après l’offre du capitaine Maitland, pour y prendre ses sauf-conduits pour l’Amérique. Le capitaine Maitland désira qu’il fût bien compris qu’il ne garantissait pas qu’on les accorderait, et nous nous séparâmes. Au fond du cœur je ne pensais pas non plus qu’on nous les accordât. Mais l’Empereur ne voulait plus que vivre tranquille ; il était résolu de demeurer désormais personnellement étranger aux évènements politiques. Nous voyions donc sans beaucoup d’inquiétude la probabilité qu’on nous empêchât de sortir d’Angleterre ; mais là se bornaient toutes nos craintes et nos suppositions, là se fixait aussi sans doute la croyance de Maitland. Je lui rends la justice de croire qu’il était sincère et de bonne foi, ainsi que les autres officiers, dans la peinture qu’ils nous avaient faite des sentiments de l’Angleterre.

Nous étions de retour à onze heures. Cependant l’orage s’approchait, les moments devenaient précieux ; il fallait prendre un parti. L’Empereur nous réunit en une espèce de conseil. On débattit toutes les chances. Le bâtiment danois parut impraticable. Il n’était plus question des chasse-marée ; la croisière anglaise était inforçable. Il ne restait plus que de revenir à terre entreprendre la guerre civile, ou d’accepter les offres présentées par le capitaine Maitland. On s’arrêta à ce dernier parti. En abordant le Bellérophon, disait-on, on serait déjà sur le sol britannique ; les Anglais se trouveraient liés dès cet instant par les droits de l’hospitalité, estimés sacrés chez les peuples les plus barbares ; on se trouverait, dès ce moment, sous les droits civils du pays : les Anglais ne seraient pas assez insensibles à leur gloire pour ne pas saisir cette circonstance avec avidité. Alors Napoléon écrivit au prince régent :

« Altesse Royale, en butte aux factions qui divisent mon pays, et à l’inimitié des plus grandes puissances de l’Europe, j’ai consommé ma carrière politique. Je viens, comme Thémistocle ; m’asseoir sur le foyer du peuple britannique ; je me mets sous la protection de ses lois,