Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/273

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ce qu’ils recevaient de France même ; et ici, il faut être juste, ceux d’entre nous qu’on a vus danser sur les ruines de leur patrie ne s’en faisaient pas faute, et les tenaient abondamment pourvus.

« Quoi qu’il en soit, on me tourmenta souvent, au temps de ma puissance, pour que je fisse combattre ces menées ; je m’y refusai toujours. À quoi m’eût servi qu’on m’eût défendu ? On eût dit que j’avais payé, et cela ne m’eût que discrédité un peu davantage. Une victoire, un monument de plus ; voilà la meilleure, la véritable réponse, disais-je constamment. Le mensonge passe, la vérité reste. Les gens sages, la postérité surtout, ne jugent que sur des faits. Aussi qu’est-il arrivé ? Déjà le nuage se dissipe, la lumière perce, je gagne tous les jours ; bientôt il n’y aura plus rien de plus piquant en Europe que de me rendre justice. Ceux qui m’ont succédé tiennent les archives de mon administration, les archives de la police, les greffes des tribunaux ; ils ont à leur disposition, à leur solde, ceux qui eussent été les exécuteurs, les complices de mes atrocités et de mes crimes ; eh bien ! qu’ont-ils publié ? qu’ont-ils fait connaître ?

Aussi, la première fureur passée, les gens d’esprit et de jugement me reviendront ; je ne conserverai pour ennemis que des sots ou des méchants. Je puis demeurer tranquille, je n’ai qu’à laisser faire, et la suite des évènements, les débats des partis opposés, leurs productions adverses, feront luire chaque jour les matériaux les plus sûrs, les plus glorieux de mon histoire. Et à quoi ont abouti, après tout, les immenses sommes dépensées en libelles contre moi ? Bientôt il n’y en aura plus de traces ; tandis que mes monuments et mes institutions me recommanderont à la postérité la plus reculée.

Aujourd’hui, du reste, on ne saurait plus recommencer ces torts envers moi ; la calomnie a épuisé tous ses venins sur ma personne ; elle ne saurait plus me heurter ; elle n’est plus pour moi que le poison de Mithridate. »


L’Empereur laboure un sillon – Denier de la veuve – Entrevue avec l’amiral – Nouveaux arrangements – Le polonais Piontowsky.


Samedi 30.

L’Empereur m’avait fait appeler avant huit heures. Pendant qu’il faisait sa toilette, je lui ai achevé les papiers commencés la veille. Une fois habillé, il est sorti, a marché vers les écuries, a demandé son cheval et est parti seul avec moi, tandis qu’on préparait encore ceux de la suite. Nous nous sommes promenés à l’aventure ; arrivés dans un champ qu’on