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L’Empereur vivement contrarié – Nouvelles brouilleries avec l’amiral.


Mardi 9.

L’enceinte tracée autour de Longwood, où nous avons la liberté de nous promener, ne permet guère qu’une demi-heure de course à cheval ; ce qui a porté l’Empereur, pour agrandir l’espace ou gagner du temps, à descendre dans le fond des ravins par des chemins très mauvais et parfois dangereux.

L’île n’ayant pas trente milles de tour, il eût été désirable que l’enceinte eut été portée à un mille des bords de la mer. Alors on eût pu se promener et même varier ses courses sur des espaces de quinze à dix-huit milles. La surveillance n’eût été ni plus pénible ni moins effective en la plaçant sur les rives de la mer et les débouchés des vallées, en traçant même par des signaux tous les pas de l’Empereur. On nous avait fait observer, il est très vrai, que l’Empereur était le maître de parcourir toute l’île sous l’escorte d’un officier anglais ; mais l’Empereur était décidé à ne sortir jamais, s’il devait se priver, durant sa promenade, d’être absolument à lui-même ou à l’intimité des siens. L’amiral, dans sa dernière entrevue avec l’Empereur, avait très délicatement arrêté et promis que, lorsque l’Empereur voudrait sortir des limites, il en ferait prévenir le capitaine anglais de service à Longwood ; que celui-ci se rendrait au poste pour ouvrir le passage à l’Empereur, et qu’ensuite la surveillance serait faite, s’il en existait, de manière que l’Empereur durant le reste de sa promenade, soit qu’il entrât dans quelques maisons ou profitât de quelque beau site pour travailler, n’aperçût rien qui pût le distraire d’un moment de rêverie.

D’après cela, l’Empereur se proposait ce matin de monter à cheval à sept heures. Il avait fait préparer un petit déjeuner, et comptait aller, dans la direction de Sandy-Bay, chercher une source d’eau, et profiter de quelques belles végétations, dont on est privé à Longwood, pour y passer la matinée, et y travailler quelques heures.

Nos chevaux étaient prêts. Au moment de monter, j’ai été prévenir le capitaine anglais, qui, à mon grand étonnement, a déclaré que son projet était de se mêler avec nous ; que l’Empereur ne pouvait trouver mauvais, après tout, qu’un officier ne jouât pas le rôle d’un domestique, en restant seul de l’arrière. J’ai répondu que l’Empereur approuverait sans doute ce sentiment, mais qu’il renoncerait dès l’instant à sa partie. « Vous devez trouver simple et sans vous en croire offensé, lui ai-je dit, qu’il répugne à la présence de celui qui le garde. » L’officier se montrait fort peiné,