Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/285

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et me disait que sa situation était des plus embarrassantes. « Nullement, lui ai-je observé, si vous n’exécutez que vos ordres. Nous ne vous demandons rien, vous n’avez à vous justifier de rien. Il doit vous être aussi désirable qu’à nous de voir les limites poussées vers les bords de la mer ; vous seriez délivré d’un service pénible et peu digne. Le but qu’on se propose n’en serait pas moins bien rempli ; j’oserais vous dire qu’il le serait davantage. Quand on veut garder quelqu’un, il faut garder la porte de sa chambre ou celles de son enceinte ; les portes intermédiaires ne sont plus que des peines sans efficacité. Vous perdez de vue l’Empereur tous les jours quand il descend dans les ravins de l’enceinte ; vous ne connaissez son existence que par son retour. Eh bien ! faites-vous un mérite de cette concession qu’amène la force des choses ; étendez-la jusqu’à un mille du rivage ; aussi bien vous pouvez le tracer sans cesse, à l’aide de vos signaux, du haut de vos sommités. »

Mais l’officier en revenait toujours à dire qu’il ne demandait ni regard ni parole de l’Empereur, qu’il serait avec nous comme s’il n’y était pas. Il ne pouvait comprendre et ne comprenait pas, en effet, que sa vue seule pût faire du mal à l’Empereur. Je lui ai dit qu’il était une échelle pour la manière de sentir, et que la même mesure n’était pas celle de tout le monde. Il semblait croire que nous interprétions les sentiments de l’Empereur, et que, si les raisons qu’il me donnait lui étaient expliquées, il se rendrait ; il était tenté de lui écrire. Je l’assurai que, pour ce qui lui était personnel, il n’en dirait jamais autant à l’Empereur que j’en pourrais dire moi-même ; que, du reste, j’allais de ce pas lui rendre mot à mot notre conversation. Je suis revenu bientôt lui confirmer ce que je lui avais dit d’avance. L’Empereur avait dès l’instant renoncé à sa partie.

Voulant toutefois, pour mon compte, éviter tout malentendu qui aurait pu accroître les discussions toujours fâcheuses, je lui ai demandé s’il aurait quelque objection à me montrer le compte qu’il rendait à l’amiral. Il m’a dit qu’il n’en aurait aucune, mais qu’il ne le lui rendrait que de vive voix. Résumant alors notre longue conversation en deux mots, je l’ai réduite à deux points bien positifs : lui, à m’avoir dit vouloir se joindre au groupe de l’Empereur ; moi, à lui avoir répondu que l’Empereur dès lors renonçait à sa partie et ne sortirait pas des limites : ce qui a été parfaitement agréé de nous deux.

L’Empereur m’a fait appeler dans sa chambre. Dévorant en silence le contretemps qu’il venait d’éprouver, il se trouvait déjà déshabillé et en robe de chambre. Il m’a retenu à déjeuner, et a fait observer que le temps tournait à la pluie, que nous aurions eu un mauvais jour pour notre