Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/287

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lier qui, dans le corridor, conduit en haut chez les gens : c’est une espèce d’échelle de vaisseau fort rapide. « Voyons, dit-il, l’appartement de Marchand ; on dit qu’il y est comme une petite maîtresse » Nous avons grimpé. Marchand s’y trouvait. Sa petite chambre est propre ; il y a collé du papier qu’il a peint lui-même. Son lit n’était point garni. Marchand ne couche point si loin de la porte de son maître. À Briars lui et les deux autres valets de chambre ont constamment couché par terre en travers de la porte de l’Empereur ; si bien que, quand j’en sortais tard, il me fallait leur marcher sur le corps. L’Empereur s’est fait ouvrir les armoires ; elles n’ont présenté que son linge et ses habits : le tout était fort peu considérable, et pourtant il s’étonnait encore d’être si riche.

On y voyait son habit de Premier Consul, en velours rouge, brodé soie et or. Il lui avait été présenté par la ville de Lyon, circonstance qui faisait sans doute qu’il se trouvait ici, son valet de chambre sachant qu’il l’affectionnait beaucoup, parce qu’il lui venait, disait-il, de sa chère ville de Lyon.

On y voyait aussi le manteau de Marengo, manteau glorieux sur lequel ont été plus tard exposés religieusement les restes mortels de l’immortel vainqueur ; manteau qui figure aujourd’hui dans les objets spécialement légués par Napoléon à son fils. Ô bizarre succession des évènements, des personnes et des choses ! Ainsi donc ce manteau de Marengo se verra dans les palais autrichiens, au sein des princes d’Autriche, et précisément comme monument de famille, tandis que l’évènement qui le rendit si célèbre avait semblé dans le temps les menacer de la destruction, eux et leur monarchie.

Après un léger inventaire, qui n’était pas sans prix pour moi : « Combien ai-je d’éperons ? a-t-il dit en se saisissant d’une paire ? – Quatre paires, a répondu Marchand. – Y en a-t-il de plus distingués les uns que les autres ? – Non, Sire. – Eh bien ! j’en veux donner une à Las Cases. Ceux-ci sont-ils vieux ? – Oui, Sire, ils sont presque usés ; ils ont servi à Votre Majesté dans la campagne de Dresde et dans celle de Paris. – Tenez, mon cher, m’a-t-il dit en me les donnant, voilà pour vous ; ils m’ont servi à Champ-Aubert. » J’aurais voulu qu’il me fût permis de les recevoir à genoux ; ils avaient été illustrés par les belles et glorieuses journées de Champ-Aubert, Montmirail, Craonne, Nangis, Montereau ! Au temps des Amadis, fut-il jamais de plus digne monument de chevalerie ! « Votre Majesté me fait chevalier, lui ai-je dit ; mais comment gagner ces éperons ? Je ne puis plus prétendre à aucun fait