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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/286

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excursion ; mais c’était un faible adoucissement à la contrainte aiguë qui venait de troubler un plaisir innocent.

Le fait est que l’officier avait reçu de nouveaux ordres. Mais l’Empereur n’avait eu l’idée de sa petite excursion que sur les promesses antérieures de l’amiral ; promesses pour lesquelles l’Empereur s’était plu à lui témoigner de la satisfaction. Ce changement, survenu sans en avoir rien fait dire, devait nécessairement être très sensible à l’Empereur. On lui manquait de parole, ou l’on avait voulu le rendre dupe. Ce tort de l’amiral est un de ceux qui ont le plus pesé sur le cœur de l’Empereur.

L’Empereur a pris un bain et n’a point dîné avec nous. À neuf heures, il m’a fait appeler dans sa chambre. Il lisait Don Quichotte, ce qui nous a amenés à causer de la littérature espagnole, des traductions de Lesage, etc., etc. Il était fort triste et causait peu. Il m’a renvoyé au bout de trois quarts d’heure.


Chambre de Marchand – Linge, vêtements de l’Empereur, manteau de Marengo – Éperons de Champ-Aubert, etc..


Mercredi 10.

Vers les quatre heures, l’Empereur m’a fait appeler dans sa chambre. Il était habillé et en bottes ; il comptait monter à cheval ou se promener dans le jardin, mais il pleuvait un peu. Nous avons marché et causé en attendant que le temps s’éclaircît. Il a ouvert la porte de sa chambre sur le cabinet topographique, afin d’allonger sa promenade de toute l’étendue de ce cabinet. En approchant du lit qui s’y trouve, il m’a demandé si j’y couchais toujours. Je lui ai répondu que j’avais cessé dès l’instant où j’avais su qu’il voulait sortir de bon matin. « Qu’importe, m’a-t-il dit, revenez-y ; je sortirai au besoin par ma porte de derrière. »

La pluie continuant, il a renoncé à la promenade ; mais il regrettait que le grand maréchal ne fût pas arrivé. Il se sentait aujourd’hui disposé au travail : depuis quinze jours il l’avait interrompu. En attendant Bertrand, il cherchait à tuer le temps. « Allons chez madame de Montholon, » m’a-t-il dit. Je l’y ai annoncé. Il s’est assis et nous avons causé d’ameublement et de ménage. Il s’est mis alors à faire l’inventaire de l’appartement pièce à pièce, et l’on est demeuré d’accord que le mobilier ne s’élevait guère au-delà de trente napoléons. Sortant de chez madame de Montholon, il a couru de chambre en chambre et s’est arrêté devant l’esca-