Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/295

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la débauche ; la multitude de ses affaires ne lui en aurait pas d’ailleurs laissé le temps. Arrivé aux pages où sa mère était peinte à Marseille sous le rôle le plus dégoûtant et le plus abject, il s’est arrêté répétant plusieurs fois, avec l’accent de l’indignation et d’une demi-douleur : « Ah ! Madame !… Pauvre Madame !… Avec toute sa fierté !… Si elle lisait ceci ! Grand Dieu !… »

Nous avons passé ainsi plus de deux heures, au bout desquelles il s’est mis à sa toilette ; on a introduit le docteur O’Méara, c’était l’heure à laquelle d’ordinaire il était admis. « Dottore, lui dit-il en italien, tout en faisant sa barbe, je viens de lire une de vos belles productions de Londres contre moi. » La figure du docteur demandait ce que c’était ; je lui fis voir le livre de loin ; c’était précisément lui qui me l’avait prêté, il était déconcerté. « On a bien raison de dire, continuait l’Empereur, qu’il n’y a que la vérité qui offense, je n’ai pas été fâché un instant, mais j’ai ri souvent. » Le docteur cherchait à répondre et s’entortillait dans de grandes phrases : c’était un libelle infâme, dégoûtant, tout le monde le savait, personne n’en faisait de cas ; toutefois quelques-uns pouvaient le croire, faute d’y avoir répondu. « Mais que faire à cela ? disait l’Empereur. S’il entrait aujourd’hui dans la tête de quelqu’un d’imprimer qu’il m’est venu du poil, et que je marche ici à quatre pattes, il est des gens qui le croiraient, et diraient que c’est Dieu qui m’a puni