Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses incommodités ; puis, frappé de l’odeur de la peinture, de l’extrême petitesse du lieu, du voisinage des deux lits, prononça qu’il ne pouvait être toléré de dormir ainsi l’un sur l’autre, que cela devait être trop malsain, que je devais retourner au lit du cabinet topographique, qu’une fausse délicatesse ne devait pas me le faire abandonner, que si j’y gênais on saurait bien me le dire. Ce quelqu’un, on l’a deviné, c’était l’Empereur.

Je fus bientôt, comme on le juge, en bas de mon lit, réveillé, guéri et vêtu. Toutefois il était déjà bien loin, et il me fallut le chercher dans la campagne. Après l’avoir rejoint, la conversation tomba sur la longue audience accordée la veille au gouverneur Wilks. Il s’arrêta avec beaucoup de gaieté sur la grande importance que mon ouvrage (l’Atlas historique de Le Sage) semblait m’avoir donnée à ses yeux, l’extrême bienveillance qu’il semblait lui avoir inspirée. « Du reste, continuait l’Empereur, à charge de revanche sans doute ; tendresse et fraternité usuelle d’auteurs, tant qu’ils ne se critiquent pas. Et sait-il votre parenté avec le vénérable Las Casas ? » J’ai répondu que je n’en savais rien ; mais le général Gourgaud, qui se trouvait à l’autre côté de l’Empereur, lui a dit que oui.


Lectures de l’Empereur. – Madame de Sévigné. – Charles XII.Paul et Virginie. – Vertot – Rollin – Velly – Garnier.


Lundi 22 au vendredi 26.

Tous ces jours ont été gâtés par des pluies presque continuelles. L’Empereur n’a pu monter à cheval qu’une fois le matin dans le parc, et tenter une seule fois après midi de franchir notre vallée, que le temps avait rendue presque impraticable. Il n’a pas été plus possible de faire usage de la calèche ; il a donc fallu se réduire à quelques tours de jardin, et partager la tristesse du temps. Nous en avons travaillé davantage ; l’Empereur a pris régulièrement d’excellentes et fortes leçons d’anglais. Il passe de coutume toute la matinée à lire ; il lit de suite des ouvrages entiers fort considérables, sans s’en trouver nullement fatigué ; il m’en lisait toujours quelque peu avant que de se mettre à l’anglais.

C’étaient les Lettres de madame de Sévigné, dont le style est si coulant et peint si bien les mœurs du moment. Lisant la mort de Turenne et le procès de Fouquet, il remarquait, pour celui-ci, que l’intérêt de madame de Sévigné était bien chaud, bien vif, bien tendre pour de la simple amitié.

C’était Charles XII, dont il lisait la défense contre les Turcs dans sa