Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/353

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venir sur Bâle et les rives du Rhin, détruire, saisir les derrières des alliés et leur couper toute retraite en France.

L’Empereur, à l’île d’Elbe, dédaigna toute communication avec le roi de Naples ; mais, partant pour la France, il lui écrivit qu’allant prendre possession de son trône, il se plaisait à lui déclarer qu’il n’était plus de passé entre eux ; qu’il lui pardonnait sa conduite dernière, lui rendait sa bienveillance, lui envoyait quelqu’un pour lui signer la garantie de ses États, et lui recommandait, sur toute chose, de se maintenir en bonne intelligence avec les Autrichiens, et de se contenter de les contenir, dans le cas où ils voudraient marcher sur la France. Murat, en ce moment, tout au sentiment de sa première jeunesse, ne voulut ni garantie ni signature : la parole de l’Empereur, son amitié, lui suffisaient, s’écria-t-il ; il prouverait qu’il avait été plus malheureux que coupable. Son dévouement, son ardeur, allaient, disait-il, lui obtenir l’oubli du passé.

« Mais il était dans la destinée de Murat, disait l’Empereur, de nous faire du mal. Il nous avait perdus en nous abandonnant, et il nous perdit en prenant trop chaudement notre parti : il ne garda plus aucune mesure ; il attaqua lui-même les Autrichiens sans plan raisonnable, sans moyens suffisants, et il succomba sans coup férir. »

Les Autrichiens, délivrés de cet obstacle, s’en servirent comme de raison ou de prétexte pour en augurer des vues ambitieuses dans Napoléon reparaissant sur la scène. C’est ce qu’ils lui objectèrent constamment toutes les fois qu’il leur protesta de sa modération.

L’Empereur, avant la circonstance malheureuse des hostilités de Murat, avait déjà noué quelques négociations avec l’Autriche. D’autres États inférieurs, que je crois inutile de nommer, lui avaient fait dire qu’il pouvait compter sur leur neutralité. Nul doute que la chute du roi de Naples n’ait donné aussitôt une autre tournure aux affaires.

On a essayé de faire passer Napoléon pour un homme terrible, implacable ; le vrai c’est qu’il était étranger à toute vengeance, et ne savait pas conserver de rancune, quelque mal qu’on lui eût fait. Son courroux, d’ordinaire, s’exhalait par des sorties violentes, et c’était là tout. Ceux qui le connaissaient le savaient bien. Murat l’avait outrageusement trahi ; on vient de lire qu’il l’avait perdu deux fois, et cependant c’est à Toulon que Murat accourt chercher un asile. « Je l’eusse amené à Waterloo, nous disait Napoléon ; mais l’armée française était tellement patriotique, si morale, qu’il est douteux qu’elle eût voulu supporter le dégoût et l’horreur qu’avait inspirés celui qu’elle disait avoir trahi, perdu la France. Je ne me crus pas assez puissant pour l’y maintenir, et pourtant