Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/354

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il nous eût valu peut-être la victoire ; car que nous fallait-il dans certains moments de la journée ? enfoncer trois ou quatre carrés anglais ; or, Murat était admirable pour une telle besogne ; il était précisément l’homme de la chose ; jamais à la tête d’une cavalerie on ne vit quelqu’un de plus déterminé, de plus brave, d’aussi brillant.

Quant au parallèle des circonstances de Napoléon et de Murat, celui de leur débarquement respectif en France et sur le territoire de Naples, il n’en saurait exister aucun, disait l’Empereur : Murat n’avait d’autre bon argument dans sa cause que le succès, et il était purement chimérique au moment où et de la manière dont il l’a entrepris. J’étais l’élu d’un peuple, j’étais le légitime dans leurs doctrines nouvelles ; mais Murat n’était point Napolitain ; les Napolitains n’avaient jamais élu Murat ; était-il à croire qu’il pût exciter parmi eux un bien vif intérêt ? aussi sa proclamation est-elle tout à fait fausse et vide de choses. Ferdinand de Naples devait et pouvait ne le présenter que comme un fauteur d’insurrection ; c’est ce qu’il a fait, et il l’a traité en conséquence.

Quelle différence avec moi ! continuait Napoléon. Avant mon arrivée, toute la France était déjà pleine d’un même sentiment. Je débarque, et ma proclamation n’est pleine que de ce même sentiment : chacun y lit ce qu’il a dans le cœur. La France était mécontente, j’étais sa ressource ; les maux et le remède furent aussitôt en harmonie : voilà toute la clef de ce mouvement électrique, sans exemple dans l’histoire. Il prit sa source uniquement dans la nature des choses ; il n’y eut point de conspiration, et l’élan fut général ; pas une parole ne fut portée, et tout le monde s’entendit. Les populations entières se précipitaient sur le passage du libérateur. Le premier bataillon que j’enlevai de ma personne me valut aussitôt la totalité de l’armée. Je me trouvai porté jusqu’à Paris ; le gouvernement existant, tous ses agents disparurent sans efforts, comme les nuages se dissipent à la vue du soleil. Et encore eussé-je succombé, terminait l’Empereur, encore fussé-je tombé dans les mains de mes ennemis, je n’étais pas purement un chef d’insurrection ; j’étais un souverain reconnu de toute l’Europe ; j’avais mon titre, ma bannière, mes troupes ; je venais faire la guerre à mon ennemi. »


Porlier, Ferdinand – Tableaux de l’Atlas.


Vendredi 9.

Dans des gazettes que je traduisais à l’Empereur, j’ai trouvé l’histoire de Porlier : c’était un des chefs les plus remarquables des fameuses guérillas. Il venait d’essayer d’en appeler à la nation contre la tyrannie de Ferdinand ; mais il avait échoué, avait été pris et pendu.