Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/362

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plus aucun moyen de communication avec elle ; ce ne sera plus la même religion ni le même langage. Il ne sera personne qui ait le droit de détromper le peuple sur les absurdités qu’il plaira au premier venu de lui débiter, lorsqu’on voudra lui faire croire qu’on veut empoisonner les sources, faire sauter le territoire, etc., etc… » L’Empereur concluait qu’il y aurait quelques exécutions juridiques, et un extrême désir de réaction ; qu’elle serait assez forte pour irriter, pas assez pour soumettre, et que, tôt ou tard, une éruption volcanique finirait par engloutir le trône, ses alentours et ses partisans. « Si les destinées ont réglé que les Bourbons régneront, disait-il, ce ne sera toutefois que dans quelques générations qu’ils en acquerront la certitude. Quant à présent, ils sont sans doute bien plus mal situés que l’année dernière. Alors on pouvait, à toute rigueur, les présenter comme médiateurs entre les puissances et le pays ; ils n’avaient pas contribué directement au déchirement de la patrie, à la flétrissure de la gloire nationale. Mais cette fois ils étaient les alliés de nos ennemis. Ils sont rentrés sur les cadavres et les décombres qu’ils ont provoqués, dont ils se sont réjouis ; ils ont ruiné la nation, ses forces, sa gloire, ses monuments, et n’ont pas craint de partager ses dépouilles avec les ennemis, et de se réserver la honte et le mépris en partage. Aux yeux de toute la France, ils ont cessé d’être Français ; ils se sont proscrits eux-mêmes. »

Quant à l’Europe, elle semblait à l’Empereur aussi enflammée qu’elle l’avait jamais été. Elle avait anéanti la France ; mais la résurrection de celle-ci pouvait venir un jour de l’explosion des peuples, que la politique des souverains, du reste, était des plus propres à aliéner. Elle pouvait venir encore de la querelle prochaine des puissances entre elles, ce qui très probablement finirait par avoir lieu.


Peinture du bonheur domestique par l’Empereur – Deux demoiselles de l’île – L’Empereur souffrant.


Dimanche 18, lundi 19.

L’Empereur m’a fait appeler sur les dix heures ; il venait de rentrer. On m’avait dit qu’il avait été à la chasse ; il m’apprit que non, qu’il avait été à cheval vers les six heures, mais qu’il n’avait pas voulu qu’on troublât le sommeil de Son Excellence. Le déjeuner est venu, il était détestable ; je n’ai pu m’empêcher de le remarquer. Il m’a plaint d’en faire un aussi mauvais, et m’a dit qu’il était vrai qu’il fallait avoir faim pour pouvoir le manger.

Sur les cinq heures, l’Empereur a été se promener au jardin. Il s’est mis à peindre le bonheur du particulier honnête et aisé, jouissant paisi-