Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait que quelques bâtiments réunis, de cette nation, étant venus mouiller à l’île d’Elbe, y avaient donné beaucoup d’inquiétude : on avait interrogé ces gens-là sur leurs intentions, et fini par leur demander nettement s’ils avaient des vues hostiles ; ils avaient répondu : « Contre le grand Napoléon ? Ah ! jamais… nous ne faisons pas la guerre à Dieu ! »

Quand le pavillon de l’île d’Elbe entrait dans un des ports de la Méditerranée, Livourne excepté, il y était reçu avec de vives acclamations ; c’était la patrie qui semblait revenir. Quelques bâtiments français, venus de la Bretagne et de la Flandre, qui relâchèrent à l’île d’Elbe, témoignèrent le même sentiment.

« Tout est graduation dans le monde, concluait l’Empereur. L’île d’Elbe, trouvée si mauvaise il y a un an, est un lieu de délices comparée à Sainte-Hélène. Quant à Sainte-Hélène, ah ! elle peut défier tous les regrets à venir. »


Piontowsky – Caricature – Bonté héréditaire et proverbiale des Bourbons.


Mercredi 21 au vendredi 23.

L’Empereur a continué de se lever de bonne heure et de se promener à cheval, bien que ce fût au pas seulement, dans le parc et au milieu des arbres à gomme. Cependant ce léger exercice lui était bon ; il le forçait du moins à prendre l’air ; il revenait avec meilleur appétit, et travaillait avec plus de gaieté. Il déjeunait dans le jardin, sous quelques arbres qu’on avait entrelacés pour lui procurer un peu d’ombrage. Un de ces matins, en se mettant à table, il aperçut au loin le Polonais Piontowsky, et le fit appeler pour qu’il déjeunât avec lui. Il s’amuse à le questionner quand il le trouve sous ses pas.

Piontowsky, dont on ne connaît pas trop l’origine, était venu à l’île d’Elbe et avait obtenu d’y servir comme soldat dans la garde ; au retour de l’île d’Elbe, il avait été porté au grade de lieutenant ; à notre départ de Paris, il avait reçu la permission de suivre : il fut à Plymouth du nombre de ceux que les instructions anglaises séparèrent de nous. Piontowsky, avec plus de constance ou plus d’adresse que ses camarades, avait obtenu de nous rejoindre. L’Empereur, du reste, ne l’avait jamais connu, et lui parlait à Sainte-Hélène pour la première fois. Aucun de nous ne le connaissait davantage.

La conversation a amené une caricature citée par les derniers journaux ; c’était Louis XVIII sur son trône. Dans un coin du tableau tombait, sous la fusillade ou sous la guillotine, une foule de proscrits. Un de ceux-ci parvenait à s’enfuir, et passait devant le roi, qui s’efforçait de