Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/367

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encore en vue sur les dix heures, à la grande anxiété de ceux qui s’intéressaient à notre succès.

L’Empereur, s’abandonnant à la conversation, a causé plus d’une heure des détails de cet évènement, unique dans l’histoire par la hardiesse de l’entreprise et les merveilles de l’exécution. Je renvoie plus loin son récit.


Campagne d’Italie et d’Égypte ; paroles charmantes de l’Empereur – Son opinion sur nos grands poètes – Tragédies modernes – Hector – Les États de Blois – Talma.


Dimanche 26 au mardi 28.

L’anglais allait de mieux en mieux, l’Empereur convenait avoir eu un moment de dégoût. Il avait un instant, me disait-il, vu passer sa furia francese ; mais je l’avais ranimé, disait-il, par une méthode qu’il trouvait sûre, infaillible, la meilleure de toutes les méthodes, celle de lire et d’analyser une seule page, et de la recommencer jusqu’à ce qu’elle fût sue imperturbablement. Les règles grammaticales s’expliquent chemin faisant ; de la sorte, il n’y a pas un moment de perdu pour l’étude et la mémoire. Les progrès semblent lents d’abord, on croit avancer peu ; mais quand on arrive à la cinquantième page, on est tout étonné de savoir la langue. Nous avions donc ajouté une page de Télémaque au reste de notre leçon, et nous nous en trouvions très bien. Du reste, l’Empereur, en ce moment, bien qu’il n’eût encore que vingt ou vingt-cinq leçons complètes, parcourait tous les livres, aurait fait entendre par écrit ce dont il eût eu besoin. Il ne comprenait pas tout, il est vrai ; mais on ne pourrait désormais lui rien cacher, disait-il, et c’était immense, c’était une conquête achevée.

L’Empereur entamait une nouvelle époque bien précieuse, celle du départ de Fontainebleau jusqu’au retour à Paris, et sa seconde abdication. Il ne possédait aucune pièce sur ces évènements si rapides ; mais c’est cette rapidité même qui me faisait le supplier d’employer sa mémoire à consacrer des circonstances que les évènements ou l’esprit de parti pourraient affaiblir ou dénaturer.

L’Empereur revoyait aussi fort souvent avec moi les divers chapitres de la campagne d’Italie ; le moment qui précédait le dîner était consacré d’ordinaire à cette révision. Il m’avait chargé de couper chaque chapitre d’une manière régulière, uniforme, d’en indiquer les paragraphes convenables, etc., etc. C’est ce qu’il appelait la triture ou la charlatanerie de l’éditeur. « Et cela vous regarde, me disait-il un jour avec une grâce et une bonté qui me pénétraient ; ce sera désormais votre bien. La