Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/379

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qu’ils étaient réels alors, ils ne furent plus que nominaux. Au lieu de présenter les plus petits détails d’une vraie toilette et les saletés qui pouvaient en être la suite, ces instants, sous l’Empereur, n’étaient réellement consacrés qu’à recevoir le matin ou congédier le soir ceux de sa maison qui avaient des ordres directs à prendre de lui, et dont la prérogative était de pouvoir lui faire leur cour à ces heures privilégiées.

Ainsi l’Empereur rétablit des présentations spéciales auprès de sa personne, des admissions à sa cour ; mais au lieu de ne se décider que sur des preuves officielles de noblesse, ce ne fut plus que sur la base combinée de la fortune, de l’influence et des services.

Ainsi l’Empereur créa des titres dont la qualification donnait la main à l’ancienne féodalité ; mais, sans valeur réelle et d’un but purement national, sans prérogative, sans privilèges ; ils allaient atteindre toutes les naissances, tous les services, toutes les professions. Il les disait un rapprochement utile avec les mœurs de la vieille Europe au-dehors, et un hochet innocent pour bien des vanités du dedans. « Car, observait-il, combien d’hommes supérieurs sont enfants plus d’une fois dans la journée ! »

Ainsi l’Empereur fit reparaître des décorations, et distribua des croix et des cordons ; mais, au lieu de ne les répandre que sur des classes spéciales et privilégiées, il les étendit à toute la société, à tous les genres de services, à tous les genres de talents ; et, par un privilège exclusif peut-être en la personne de Napoléon, plus il en accorda, plus ils acquirent de prix. Il estime à vingt-cinq mille peut-être le nombre des décorations de la Légion-d’Honneur qu’il a distribuées, et le désir de les obtenir, disait-il, allait toujours croissant : c’était devenu une espèce de fureur. Après la campagne de Wagram, il l’adressa à l’archiduc Charles ; et, par un raffinement de galanterie qui n’appartenait qu’à Napoléon, ce fut la croix d’argent, précisément celle du simple soldat, qu’il lui envoya.

C’était, disait l’Empereur, la pratique fidèle et volontaire des maximes qu’on vient de voir qui faisait de lui le monarque vraiment national, et qui aurait rendu la quatrième dynastie la dynastie vraiment constitutionnelle. « Aussi, remarquait-il, le peuple du plus bas étage en avait-il l’instinct secret. » Et à ce sujet il racontait qu’en revenant de son couronnement d’Italie, et dans les environs de Lyon, la population accourant sur les routes, il lui prit fantaisie de monter seul et à pied la montagne de Tarare. Il avait défendu que personne ne le suivît ; se mêlant à la foule, il accosta une bonne vieille à qui il demanda ce que cela signifiait ; elle lui répondit que c’était l’Empereur qui allait passer. Sur quoi, après quel-