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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/43

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L’Empereur me demande si je le suivrai à Sainte-Hélène.


Mardi 1er août.

Nous restions toujours dans le même état. Je reçus dans la matinée une lettre de Londres, dans laquelle on exprimait avec beaucoup de force que j’aurais tort, que ce serait même un crime que de m’expatrier. La personne qui me l’adressait écrivit au capitaine Maitland de joindre ses efforts et ses avis pour m’empêcher de prendre un parti aussi extrême. J’arrêtai les premières paroles du capitaine Maitland, en lui faisant observer qu’à mon âge on agissait avec réflexion.

Je lisais chaque jour à l’Empereur les divers papiers-nouvelles. Aujourd’hui il s’en trouva deux dans le nombre, soit que la bienveillance nous les eût fait adresser, soit que les opinions commençassent à se diviser, qui plaidaient notre cause avec beaucoup de chaleur, et nous dédommageaient des grossières injures dont les autres étaient remplis. Nous nous livrâmes à l’espoir qu’à la haine qu’avait inspirée un ennemi succéderait bientôt l’intérêt que doivent exciter les grandes actions, et nous nous dîmes que l’Angleterre avait une foule de cœurs nobles et d’âmes élevées qui deviendraient indubitablement d’ardents avocats, etc., etc.

La foule des bateaux croissait chaque jour ; l’Empereur se montrait en public à son heure ordinaire, et l’accueil était de plus en plus favorable.

Quant à son intérieur, l’Empereur demeurait encore pour la plupart de nous toujours comme aux Tuileries ; nous l’avions suivi en grand nombre, de tous rangs, de tous grades ; le grand maréchal et le duc de Rovigo seuls le voyaient habituellement ; tel, depuis notre départ, ne l’avait guère plus approché, et ne lui avait pas parlé davantage qu’il ne l’eût fait à Paris. Moi j’étais appelé dans la journée toutes les fois qu’il y avait des papiers à traduire, et insensiblement l’empereur prit l’habitude régulière de me faire appeler tous les soirs, vers huit heures, pour causer quelque temps.

Aujourd’hui, dans le cours de la conversation, et à la suite de divers sujets, il m’a demandé si je le suivrais à Sainte-Hélène ; j’ai répondu avec la dernière franchise, mes sentiments me le rendaient facile. Je lui ai dit qu’en quittant Paris pour le suivre, j’avais sauté à pieds joints sur toutes les chances, celle de Sainte-Hélène n’avait rien qui dût la faire excepter ; mais que nous étions en grand nombre autour de lui ; qu’on ne lui permettait d’emmener que trois d’entre nous ; que bien des personnes me faisaient un crime d’abandonner ma famille ; que j’avais donc besoin, vis-à-vis d’elle et vis-à-vis de ma propre conscience, de savoir que je lui serais utile et agréable ; qu’en un mot, j’avais besoin qu’il me choisît ; que cette observation, du reste, ne renfermait aucune