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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/42

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d’indulgence qu’on ne le pourrait faire ailleurs, vu les précautions indispensables qu’on serait obligé d’employer pour s’assurer de sa personne.

« On permet au général Bonaparte de choisir parmi les personnes qui l’ont accompagné en Angleterre, à l’exception des généraux Savary et Lallemand, trois officiers, lesquels, avec son chirurgien, auront la permission de l’accompagner à Sainte-Hélène, et ne pourront point quitter l’île sans la sanction du gouvernement britannique.

« Le contre-amiral sir Georges Cockburn, qui est nommé commandant en chef du cap de Bonne-Espérance et des mers adjacentes, conduira le général Bonaparte et sa suite à Sainte-Hélène, et recevra des instructions détaillées touchant l’exécution de ce service.

« Sir G. Cockburn sera probablement prêt à partir dans peu de jours ; c’est pourquoi il est désirable que le général Bonaparte fasse sans délai le choix des personnes qui doivent l’accompagner.

Bien que nous nous fussions attendus à notre déportation à Sainte-Hélène, nous en demeurâmes affectés, elle nous consterna tous. Toutefois l’Empereur n’en vint pas moins sur le pont, comme de coutume, avec le même visage, et de la même manière, considérer la foule affamée de le voir.


Les généraux Savary et Lallemand ne peuvent suivre l’Empereur.


Lundi 31.

Notre situation était affreuse ; nos peines au-delà de toute expression ; nous allions cesser de vivre pour l’Europe, pour notre patrie, pour nos familles, pour nos amis, nos jouissances, nos habitudes : on nous laissait, à la vérité, le choix de ne pas suivre l’Empereur ; mais ce choix était celui des martyrs ; il s’agissait de renoncer à sa religion, à son culte, ou de périr. Une circonstance venait compliquer encore nos tourments : c’était l’exclusion spéciale des généraux Savary et Lallemand, qui en étaient frappés de terreur ; ils ne voyaient plus que l’échafaud ; ils étaient persuadés que l’Angleterre, ne distinguant point les actes politiques dans une révolution, des crimes civils dans un État tranquille, les livrerait à leurs ennemis pour subir le supplice. C’eût été un tel outrage à toutes les lois, un tel opprobre pour l’Angleterre elle-même, qu’on eût été tenté de l’en défier ; mais on ne pouvait parler ainsi qu’en se trouvant proscrit avec eux. Du reste, nous ne balançâmes pas à vouloir demeurer tous du nombre de ceux que l’Empereur pouvait choisir ; nous n’avions qu’une crainte, celle de nous trouver exclus.