Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/431

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depuis fort longtemps, mais que je ne l’avais pas su ni voulu l’apercevoir : je m’étais tenu caché sous le boisseau, de peur que la lumière ne me parvînt. En ce moment je me trouvais lancé au milieu de tout son éclat ; j’en étais ébloui. Dès cet instant, tous mes préjugés tombèrent : ce fut la taie qu’on enleva de dessus mes yeux.

« Envoyé depuis en mission par Votre Majesté, et ayant parcouru plus de soixante départements, je mis le soin le plus scrupuleux et la bonne foi la plus parfaite à vérifier tout ce dont j’avais douté si longtemps. J’interrogeai les préfets, les autorités inférieures, je me fis produire les documents et les registres ; j’interrogeai de simples particuliers, sans en être connu ; j’employai toutes les contre-épreuves possibles, et je recueillis la conviction que le gouvernement était entièrement national et tout à fait du vœu des peuples ; que jamais la France, à aucune époque de son histoire, n’avait été plus forte, plus florissante, mieux administrée, plus heureuse. Jamais les chemins n’avaient été mieux entretenus ; l’agriculture avait gagné d’un dixième, d’un neuvième, d’un huitième en productions[1].

« Une inquiétude, une ardeur générale animaient tous les esprits au travail, et les portaient à une amélioration personnelle et journalière. L’indigo était conquis, le sucre devait l’être infailliblement. Jamais, à aucune époque, le commerce intérieur et l’industrie en tout genre n’avaient été portés aussi loin : au lieu de quatre millions de livres de coton qui s’employaient au moment de la révolution ; il s’en travaillait à présent au-delà de trente millions de livres, bien que nous ne puissions en recevoir par mer, et qu’il nous vînt d’aussi loin par terre que de Constantinople. Rouen était devenu un vrai prodige dans ses résultats, etc., etc.

« Les impositions se payaient partout, la conscription était nationalisée ; la France, au lieu d’être épuisée, comptait plus de populations qu’auparavant, et elle croissait journellement.

« Quand, avec ces données je reparus dans mes anciens cercles, ce fut une véritable insurrection ; on jeta les hauts cris, on me rit au nez, mais il y avait pourtant dans le nombre des gens sensés, et je revenais bien fort ; j’en ébranlai plusieurs, j’en convainquis quelques-uns ; j’eus aussi mes conquêtes. »

L’Empereur, résumant, disait qu’il fallait convenir que notre réunion

  1. Circonstance assez singulière : c’est précisément de M. de Villèle, devenu depuis célèbre, que j’obtins en Languedoc cette assertion sur l’agriculture.