Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/448

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roya- du dedans, à la foule de sectes que la violation du Corps Législatif aurait créées, cette partie de la multitude qu’il faut faire marcher par la force ; enfin cette condamnation morale, qui vous impute, quand vous êtes malheureux, tous les maux qui se présentent. Il ne m’est donc resté absolument que le parti de l’abdication ; elle a tout perdu : je l’ai vu, je l’ai dit ; mais je n’ai pas eu d’autre choix.

« Les alliés avaient toujours suivi contre nous le même système ; ils l’avaient commencé à Prague, continué à Francfort, à Chatillon, à Paris et à Fontainebleau. Ils se sont conduits avec beaucoup d’esprit ! Les Français purent en être la dupe en 1814 ; mais la postérité concevra difficilement qu’ils le fussent en 1815 ; elle flétrira à jamais ceux qui s’y laissèrent prendre. Je leur avais dit leur histoire en partant pour l’armée : Ne ressemblons pas aux Grecs du Bas-Empire qui s’amusaient à discuter entre eux quand le bélier frappait les murailles de leur ville. Je la leur ai dite encore quand ils m’ont forcé d’abdiquer : Les ennemis veulent me séparer de l’armée ; quand ils auront réussi, ils sépareront l’armée de vous ; vous ne serez plus alors qu’un vil troupeau, la proie des bêtes féroces. »

Nous avons demandé à l’Empereur si, avec le concours du Corps Législatif, il eût cru pouvoir sauver la patrie. Il a répondu sans hésitation qu’il s’en serait chargé avec confiance, et eût cru pouvoir en répondre.

« En moins de quinze jours, disait-il, c’est-à-dire avant que les masses de l’ennemi eussent pu se présenter devant Paris, j’en eusse complété les fortifications ; j’eusse réuni sous ses murailles, des débris de l’armée, plus de quatre-vingt mille hommes de bonnes troupes, et trois cents pièces attelées. Au bout de quelques jours de feu, la garde nationale, les fédérés, les habitants de Paris, eussent suffi à la défense des retranchements ; il me serait donc demeuré quatre-vingt mille hommes disponibles sous la main.

« Et l’on savait, continuait-il, tout le parti que j’étais capable d’en tirer. Les souvenirs de 1814 étaient encore tout frais : Champ-Aubert, Montmirail, Craonne, Montereau, vivaient, encore dans l’imagination de ceux qui avaient à nous combattre. Les mêmes lieux leur eussent rendu présents les prodiges de l’année précédente ; ils m’avaient alors surnommé, dit-on, le cent mille hommes. La rapidité, la force de nos coups, leur avaient arraché ce mot ; le fait est que nous nous étions montrés admirables : jamais une poignée de braves n’accomplit plus de merveilles. Si ces hauts faits n’ont jamais été bien connus dans le public, par les circonstances de nos désastres, ils ont été dignement