Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/455

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et partit de là pour faire une vigoureuse sortie sur l’immoralité des hauts administrateurs en France, et généralement de tous les fonctionnaires ou hommes à place ; sur leur manque de religion politique ou de sentiment national, qui les portait à administrer indifféremment, un jour pour l’un, un jour pour l’autre : « Cette légèreté, cette inconséquence nous venaient de loin, disait-il ; nous demeurions toujours Gaulois : aussi nous ne vaudrions tout notre prix que lorsque nous substituerions les principes à la turbulence, l’orgueil à la vanité, et surtout l’amour des institutions à l’amour des places. »

De tout cela, l’Empereur concluait que les souverains, à la suite de nos derniers évènements, devaient nécessairement avoir retenu une arrière-pensée de mépris et de dépit contre un grand peuple qui se jouait ainsi de la souveraineté. « Du reste, continuait-il, l’excuse est peut-être dans la nature des choses, dans la force des circonstances. La démocratie élève la souveraineté, l’aristocratie seule la conserve. La mienne n’avait point encore pris les racines ni l’esprit qui devaient lui être propres ; au moment de la crise ; elle s’était trouvée encore de la démocratie ; elle avait été se confondre dans la foule et céder à l’impulsion du moment, au lieu de lui servir d’ancre de salut contre la tempête et de l’éclairer sur son aveuglement. »

Voici ce qui s’est dit de neuf sur M. de Talleyrand et M. Fouché qui reviennent si souvent : je cherche à me répéter le moins possible.

Et qu’on n’aille pas croire que je me complaise ici à des personnalités, on ne saura jamais toutes celles que j’ai supprimées, et je puis même affirmer qu’il n’est aucun de ceux qui croiraient avoir à se plaindre qui ne me doive au contraire quelque chose.

« M. de Talleyrand avait attendu, disait l’Empereur, deux fois vingt-quatre heures à Vienne, des pleins pouvoirs pour traiter de la paix en mon nom. Mais j’aurais eu honte de prostituer ainsi ma politique ; et pourtant il m’en coûte peut-être l’exil de Sainte-Hélène ; car je ne disconviens pas qu’il ne soit d’un rare talent, et ne puisse en tout temps mettre un grand poids dans la balance.

« M. de Talleyrand, continuait-il, était toujours en état de trahison ; mais c’était de complicité avec la fortune. Sa circonspection était extrême ; se conduisant avec ses amis comme s’ils devaient être ses ennemis ; avec ses ennemis comme s’ils pouvaient devenir ses amis. M. de Talleyrand avait toujours été contraire, dans mon esprit, au faubourg Saint-Germain. Dans l’affaire du divorce, il avait été pour l’impératrice Joséphine ; c’était lui qui avait poussé à la guerre d’Espagne, bien