Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/454

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Aujourd’hui, sur les cinq heures, nous avons fait notre tour de calèche accoutumé ; le soir les conversations ont recommencé sur les anecdotes ministérielles et sur plusieurs personnages demeurés célèbres.

Napoléon nous a fait l’histoire de M. Pozzo di Borgo, son compatriote, qui avait été membre de la législative. C’est lui, à ce qu’on crut, qui a conseillé à l’empereur Alexandre de marcher sur Paris, bien que Napoléon se fût jeté sur ses derrières. « Et en cela, disait l’Empereur, il a par ce seul fait décidé des destinées de la France, de celles de la civilisation européenne, de la face et du sort du monde. Il était devenu très influent sur le cabinet russe. Au 20 mars, disait l’Empereur, il fit retraite dans la Belgique, et après l’entrée de Napoléon dans Paris il y eut quelques communications ministérielles échangées avec lui, et l’on a lieu de croire qu’elles eussent pu devenir très importantes, pour peu que la lutte se fût prolongée, et que les chances eussent été douteuses. »

Il a fait aussi l’histoire de M. Capo d’Istria.

Il est passé de là à M. de Metternich. C’est lui, nous a-t-il dit, qui l’avait élevé au poste qu’il occupe. « Il serait difficile de rendre toutes les protestations personnelles qu’il m’avait si souvent répétées ; sa vénalité n’était ignorée de personne, si ce n’est peut-être du pauvre François. »

Il est constant qu’au congrès de Vienne il a échappé à un grand monarque, dans un moment de dépit, de s’écrier : Ce Metternich me coûte les yeux de la tête. Paroles qui expliquent assez la tournure de plus d’une décision et les rapports de la fameuse sainte-alliance.

L’Empereur est venu ensuite à ses propres ministres : Bassano, qu’il croyait, disait-il, lui avoir été sincèrement attaché ; Clarke, dont le temps devait, selon lui, faire pleine justice ; Champagny, duc de Cadore, qu’il avait fait successivement ambassadeur à Vienne, ministre de l’intérieur, ministre des relations extérieures, etc., et dont ce méchant Talleyrand disait, avec sa malice ordinaire, que c’était l’homme propre à toutes places la veille du jour qu’on l’y nommait.

Vint ensuite Cambacérès, que Napoléon disait être l’homme des abus, avec un penchant décidé pour l’ancien régime ; tandis que Lebrun, au contraire, avait, assurait-il, une forte pente en sens opposé : c’était, disait-il, l’homme des idéalités ; et voilà les deux contrepoids, ajoutait-il, entre lesquels s’était placé le Premier Consul, qu’on appela si plaisamment dans le temps le tiers consolidé.

M. de Talleyrand et Fouché eurent leur tour ; il s’y arrêta longtemps,