Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/457

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M. de Talleyrand avait un intérieur fort doux et même attachant, ses familiers et ses agents l’aimaient et lui étaient fort dévoués.

Dans son intimité, on l’a entendu parler volontiers et gaiement de sa profession ecclésiastique, qu’il n’avait d’ailleurs embrassée que par force, contraint par ses parents, bien que l’aîné de plusieurs frères. Il réprouvait un jour un air que l’on fredonnait autour de lui ; il l’avait en horreur, disait-il ; il lui rappelait le temps où il était obligé d’apprendre le plain-chant et de chanter au lutrin.

Une autre fois un de ses habitués racontait pendant le souper ; M. de Talleyrand, préoccupé, semblait étranger à la conversation. Durant le récit, il échappe au conteur, qui se trouvait en verve, de dire de quelqu’un : Celui-là est un vilain drôle, c’est un prêtre marié. M. de Talleyrand, réveillé par ces paroles, saisit une cuiller, la plonge précipitamment dans le plat vis-à-vis de lui, et d’un geste menaçant lui crie : « Un tel, voulez-vous des épinards ? » Le narrateur de se confondre, et chacun de rire, M. de Talleyrand comme les autres.

L’Empereur, lors du concordat, avait voulu faire M. de Talleyrand cardinal, et le mettre à la tête des affaires religieuses : c’était son lot, lui disait-il, il rentrait dans le giron, réhabilitait sa mémoire, fermait la bouche aux déclamateurs. M. de Talleyrand ne le voulut jamais : son aversion pour l’état ecclésiastique était invincible.

Napoléon avait été sur le point de lui donner l’ambassade de Varsovie, confiée depuis à l’abbé de Pradt ; mais des affaires d’agiotage, des saletés, disait-il, sur lesquelles M. de Talleyrand était incorrigible, le forcèrent à y renoncer. C’était par le même motif et sur la réclama-