Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/458

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tion de plusieurs souverains d’Allemagne qu’il s’était vu contraint de lui retirer le portefeuille des relations extérieures.

Fouché, disait l’Empereur, était le Talleyrand des clubs, et Talleyrand le Fouché des salons.

« L’intrigue, ajoutait-il, était aussi nécessaire à Fouché que la nourriture : il intriguait en tout temps, en tous lieux, de toutes manières et avec tous. On ne découvrait jamais rien qu’on ne fût sûr de l’y rencontrer pour quelque chose ; il n’était occupé que de courir après, sa manie était de vouloir être de tout !… Toujours dans les souliers de tout le monde. » C’était le mot souvent répété de l’Empereur.

Lors de la conspiration de Georges, quand on arrêta Moreau, Fouché n’était plus au ministère de la police, et cherchait fort à se faire regretter. « Quelle gaucherie ! disait-il, ils ont arrêté Moreau quand il revenait de sa campagne à Paris, ce qui pouvait montrer en lui une innocente confiance : c’était quand il se rendait à Gros-Bois, au contraire, qu’il fallait le saisir ; car il devenait évident alors qu’il fuyait. »

On connaît de lui le mot qu’il a dit, ou qu’on lui a prêté, sur l’affaire du duc d’Enghien : « C’est plus qu’un crime, c’est une faute. » De pareils traits peignent plus le caractère d’un homme que des volumes entiers.

L’Empereur connaissait bien Fouché, et n’en a jamais été la dupe.

On l’a beaucoup blâmé de s’en être servi en 1815, où en effet Fouché l’a indignement trahi. Napoléon n’ignorait pas ses dispositions ; mais il savait aussi que le danger reposait plus sur les évènements que sur la personne. « Si j’eusse été victorieux, disait-il, Fouché eût été fidèle : il est vrai qu’il se donnait de grands soins pour être prêt selon toutes les chances. Il me fallait vaincre ! »

L’Empereur, du reste, eut connaissance de ses menées, et l’on va voir qu’il le ménageait peu.

Après le retour de l’Empereur en 1815, un des premiers banquiers de Paris se présente à l’Élysée pour le prévenir que peu de jours auparavant quelqu’un arrivant de Vienne s’était présenté chez lui avec des lettres de crédit, et s’était informé des moyens d’arriver à Fouché. Soit réflexion, soit pressentiment, ce banquier conçut quelques doutes sur cet individu, et vint les communiquer personnellement à l’Empereur, qui fut frappé que Fouché lui en eût fait mystère.

En peu d’heures Réal eut trouvé l’homme en question ; il le conduisit aussitôt à l’Élysée, où il fut enfermé dans un cabinet. L’Empereur se le fit amener au jardin. « Me connaissez-vous ? » dit-il à cet homme. Ce début, les idées qu’inspirait la présence de l’Empereur, ébranlèrent