Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/492

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est arrivé depuis ? Il est venu à Paris, il est vrai, mais avec toute l’Europe. Il a acquis la Pologne. Mais quelles seront les suites de l’ébranlement donné à tout le système européen, de l’agitation donnée à tous les peuples, de l’accroissement de l’influence européenne sur le reste de la Russie par l’agglomération des acquisitions nouvelles, par les courses lointaines des soldats russes, par l’influence des hommes et des lumières hétérogènes qui viennent s’y réfugier de toutes parts ! etc., etc.

« Les souverains russes se contenteront-ils de consolider ce qu’ils ont acquis ? Mais si l’ambition les saisit au contraire, à quelle entreprise, à quelle extravagance ne peuvent-ils pas se livrer ! Et pourtant ils ont perdu Moscou, ses richesses, ses ressources, celles d’un grand nombre d’autres villes ! Ce sont autant de plaies qui saigneront plus de cinquante ans. Et pourtant que n’aurions-nous pas pu fixer à Wilna pour le bien-être de tous, pour celui des peuples aussi bien que pour celui des rois ! ! !… »

Dans un autre moment l’Empereur disait : « J’ai pu partager l’empire turc avec la Russie ; il en a été plus d’une fois question entre nous. Constantinople l’a toujours sauvé. Cette capitale était le grand embarras, la vraie pierre d’achoppement. La Russie la voulait ; je ne devais pas l’accorder. C’est une clef trop précieuse ; elle vaut à elle seule un empire : celui qui la possédera peut gouverner le monde. »

Et comme l’Empereur se résumant en est revenu à dire : « Qu’a donc gagné Alexandre qu’il n’eût obtenu à Wilna à bien meilleur compte ? » il est échappé à quelqu’un de dire : « Sire, d’avoir vaincu et d’être demeuré triomphant. – Ce pourra être la pensée du vulgaire, s’est écrié l’Empereur, ce ne saurait être celle d’un roi. Un roi, s’il gouverne par lui-même, ou ses conseils s’il en est incapable, ne doit point, dans une aussi grande entreprise, avoir pour but la victoire, mais bien ses résultats. Et puis, ne s’arrêterait-on même qu’à cette considération vulgaire, je maintiens que le but encore serait manqué, car ici la palme des suffrages doit demeurer au vaincu.

« Qui pourrait mettre en parallèle mes succès d’Allemagne avec ceux des alliés en France ? Les gens éclairés, réfléchis, l’histoire, ne le feront point.

« Les alliés sont venus traînant toute l’Europe contre presque rien du tout. Ils présentaient six cent mille hommes en ligne ; ils avaient une réserve égale. S’ils étaient battus, ils ne couraient aucun risque, ils se repliaient. Moi, au contraire, en Allemagne, à cinq cents lieues au loin, j’étais à peine à force égale. Je demeurais entouré de puissances et de