Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/5

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

relations politiques et domestiques, en un mot, les grandes circonstances de sa vie : je pensais que là seulement devaient se trouver la clef de ses écrits, la mesure certaine de ma confiance. Aujourd’hui je me hâte de fournir à mon tour, pour moi-même, ce que j’ai toujours recherché dans les autres.

Je vais donc, avant de présenter mes récits, mettre au fait de ce qui me concerne.

Je n’avais guère que vingt et un ans au moment de la révolution ; je venais d’être fait lieutenant de vaisseau, ce qui correspondait au grade d’officier supérieur dans la ligne ; ma famille était à la cour, je venais d’y être présenté moi-même. J’avais peu de fortune ; mais mon nom, mon rang dans le monde, la perspective de ma carrière, devaient, d’après l’esprit et les calculs du temps, me faire trouver, par mariage, celle que je pouvais désirer. Alors éclatèrent nos troubles politiques.

Un des vices éminents de notre système d’admission au service était de nous priver d’une éducation forte et finie.

Sortis de nos écoles à quatorze ans, abandonnés dès cet instant à nous-mêmes, et comme lancés dans un grand vide, où aurions-nous pris la plus légère idée de l’organisation sociale, du droit public et des obligations civiles ?

Aussi, conduit par de nobles préjugés, bien plus que par des devoirs réfléchis, entraîné surtout par un penchant naturel aux résolutions généreuses, je fus des premiers à courir au-dehors près de nos princes, pour sauver, disait-on, le monarque des excès de la révolte, et défendre nos droits héréditaires que nous ne pouvions, disait-on encore, abandonner sans honte. Avec la manière dont nous avions été élevés, il fallait une tête bien forte ou un esprit bien faible pour résister au torrent.

Bientôt l’émigration devint générale. L’Europe ne connaît que trop cette funeste mesure, dont la gaucherie politique et le tort national ne sauraient trouver d’excuse aujourd’hui que dans le manque de lumière et la droiture du cœur de la plupart de ceux qui l’entreprirent.

Défaits sur nos frontières ; licenciés, dissous par l’étranger ; repoussés,