Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/501

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cher un asile dans un pays auquel on croyait des lois toutes-puissantes, chez un peuple dont pendant vingt ans j’avais été le plus grand ennemi. Vous autres, qu’avez-vous fait ?… Vos actes ne vous honoreront pas dans l’histoire ! Et toutefois il est une Providence vengeresse ; tôt ou tard vous en porterez la peine ! Un long temps ne s’écoulera pas que votre prospérité, vos lois, n’expient cet attentat ! Vos ministres, par leurs instructions, ont assez prouvé qu’ils voulaient se défaire de moi ! Pourquoi les rois qui m’ont proscrit n’ont-ils pas osé ordonner ouvertement ma mort ? L’un eût été aussi légal que l’autre ! Une fin prompte eût montré plus d’énergie de leur part que la mort lente à laquelle on me condamne. Les Calabrois ont été bien plus humains, plus généreux que les souverains ou vos ministres ! Je ne me donnerai pas la mort ; je pense que ce serait une lâcheté ; il est noble et courageux de surmonter l’infortune ! chacun ici-bas est tenu à remplir son destin ! mais si l’on compte me tenir ici, vous me la devez comme un bienfait ; car ma demeure ici est une mort de chaque jour ! L’île est trop petite pour moi, qui chaque jour faisais dix, quinze, vingt lieues à cheval ; le climat n’est pas le nôtre, ce n’est ni notre soleil ni nos saisons. Tout ici respire un ennui mortel ! la position est désagréable, insalubre ; il n’y a point d’eau ; ce coin de l’île est désert, il a repoussé ses habitants ! »

Le gouverneur ayant alors remarqué que ses instructions ordonnaient ces limites resserrées, qu’elles commandaient même qu’un officier le suivrait en tout temps : « Si elles eussent été observées ainsi, je ne serais jamais sorti de ma chambre ; et si les vôtres ne peuvent point accorder plus d’étendue, vous ne pouvez désormais rien pour nous. Du reste, je ne demande ni ne veux rien. Transmettez mes sentiments à votre gouvernement. »

Il est échappé au gouverneur de dire : Voilà ce que c’est que de donner des instructions de si loin, et sur une personne que l’on ne connaît pas. Il s’est rejeté sur ce qu’à l’arrivée de la maison ou du palais de bois qui est en route, on pourrait prendre peut-être de meilleures mesures ; que le vaisseau qui arrivait portait un grand nombre de meubles, des comestibles qu’on supposait lui être agréables ; que le gouvernement faisait tous ses efforts pour adoucir sa situation.

L’Empereur a répondu que tous ces efforts se réduisaient à bien peu de choses : qu’il avait prié qu’on l’abonnât au Morning Chronicle et au Statesman pour lire la question sous les expressions les moins désagréables ; on n’en avait rien fait ; il avait demandé des livres, sa seule con-