Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/559

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réaction des Gaulois contre les Francs. Le roi fut moins attaqué comme souverain que comme chef de la féodalité : on ne lui reprocha point d’avoir violé les lois, mais on prétendit s’affranchir et se reconstituer à neuf.

« En Angleterre, si Charles Ier avait cédé de bonne foi, s’il avait eu le caractère modéré, incertain de Louis XVI, il eût survécu.

« En France au contraire, si Louis XVI avait résisté franchement, s’il avait eu le courage, l’activité, l’ardeur de Charles Ier, il eût triomphé.

« Durant tout le conflit, Charles Ier, isolé dans son île, n’eut autour de lui que des partisans, des amis ; jamais aucune branche constitutionnelle.

« Louis XVI avait une armée régulière ; les secours de l’étranger, deux portions constitutionnelles de la nation, la noblesse et le clergé. Il se présentait en outre à Louis XVI un second parti décisif que n’eut pas Charles Ier, celui de renoncer à être le chef de la féodalité, pour le devenir de la nation : malheureusement il ne sut prendre ni l’un ni l’autre.

Charles Ier périt donc pour avoir résisté, et Louis XVI pour n’avoir pas résisté. L’un était intimement convaincu des droits de sa prérogative : il est douteux, assure-t-on, que l’autre en fut bien persuadé, non plus que de sa nécessité.

« En Angleterre, la mort de Charles Ier fut l’ouvrage de l’ambition astucieuse, atroce, d’un seul homme.

« En France, ce fut l’ouvrage de la multitude aveuglée, celui d’une assemblée populaire et désordonnée.

« En Angleterre, les représentants du peuple, par une teinte de pudeur, s’abstinrent d’être juges et parties dans le meurtre qu’ils commandaient ; ils nommèrent un tribunal pour juger le roi.

« En France, ils ont osé être tout à la fois accusateurs et juges.

« C’est qu’en Angleterre l’affaire était conduite par une main invisible ; elle avait plus de réflexion et de calme. En France, ils ont osé être tout à la fois accusateurs et juges.

« En Angleterre, la mort du roi donna naissance à la république. En France, au contraire, ce fut la naissance de la république qui causa la mort du roi.

« En Angleterre, l’explosion politique s’opéra par les efforts du fanatisme religieux le plus ardent. En France, elle se fit aux acclamations d’une cynique impiété : chacun selon son siècle et ses mœurs.

« En Angleterre, c’étaient les excès de la sombre école de Calvin. En France, c’étaient ceux des doctrines trop relâchées de l’école moderne.

« En Angleterre, la révolution se trouva mêlée avec une guerre civile.