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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/562

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qui pût le porter à en faire, que celui de maladie grave où il aurait besoin d’appeler les secours d’autres gens de l’art, etc., etc.

Sur les trois heures, l’Empereur est sorti dans le jardin, se préparant à monter à cheval. Il venait de dicter longuement à Gourgaud, et avait à peu près complété son époque de 1815 ; il était content de son travail.

J’ai osé lui recommander ensuite celle du consulat, cette époque si brillante, où une nation en dissolution se trouva magiquement recomposée en peu d’instants dans ses lois, sa religion, sa morale, dans les vrais principes, les préjugés honnêtes et brillants ; le tout aux applaudissements et à l’admiration universelle de l’Europe étonnée.

J’étais en Angleterre à cette époque ; la masse de l’émigration, lui disais-je, avait été vivement frappée de tous ses actes : le rappel des prêtres, celui des émigrés, avaient été reçus comme un bienfait ; la grande foule s’était empressée d’en profiter.

L’Empereur me demandait alors si ce mot d’amnistie ne nous avait pas choqués, « Non, disais-je, nous savions toutes les difficultés que le Premier Consul avait éprouvées à notre égard ; nous savions que tout le bon de cette mesure n’était dû qu’à lui, que lui seul était pour nous, que tout ce qu’il y avait de mauvais venait de ceux qu’il avait été obligé de combattre en notre faveur. Plus tard, ajoutai-je, et rentrés en France, nous trouvions, il est vrai, que le Consul eût pu nous traiter mieux à l’égard de nos biens, et sans beaucoup de peine, par sa seule attitude silencieuse et passive ; c’en eût été assez pour amener partout des arrangements à l’amiable entre les dépouillés et les acheteurs.

« – Sans doute je l’eusse pu, disait l’Empereur ; mais pouvais-je me fier assez à vous autres pour cela ?… Répondez.

« – Sire, disais-je, à présent que je suis plus habitué aux affaires, que je vois plus en grand, je comprends facilement que la politique le voulait ainsi. Les dernières circonstances ont montré combien c’était sage ; il ne fallait point désintéresser ainsi la nation. L’affaire des biens nationaux est un des premiers arcs-boutants de l’esprit et du parti national.

« – Vous y êtes, répliquait l’Empereur : toutefois j’eusse pu accorder toutes choses ; j’en ai eu un moment la pensée, et j’ai fait une faute de ne pas l’accomplir. C’était de composer une masse, un syndicat de tous les biens restants des émigrés, et de le leur distribuer à leur retour, dans une échelle proportionnelle. Au lieu de cela, quand je me suis mis à rendre individuellement, je n’ai pas tardé à m’apercevoir que je les rendais trop riches et ne faisais que des insolents. Tel à qui, grâce à ses mille sollicitations et à ses mille courbettes, on rendait cinquante