Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/564

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migration, de sa naissance et de sa personne, etc. Je répondais qu’il nous avait apparu pour la première fois à la tête de l’armée d’Italie : aucun de nous ne savait ce qui précédait ; il nous était tout à fait inconnu. Nous ne pouvions jamais prononcer son nom de Buonaparte. Cela l’a beaucoup fait rire, etc.

La conversation alors l’a conduit à dire qu’il s’était souvent arrêté et avait réfléchi maintes fois sur le concours singulier des circonstances secondaires qui avaient amené sa prodigieuse carrière.

« 1° Si mon père, disait-il, qui est mort avant quarante ans, eût vécu, il eût été nommé député de la noblesse de Corse à l’Assemblée constituante. Il tenait fort à la noblesse et à l’aristocratie ; d’un autre côté, il était très chaud dans les idées généreuses et libérales ; il eût donc été ou tout à fait du côté droit ; ou au moins dans la minorité de la noblesse. Dans tous les cas, quelles qu’eussent été mes opinions personnelles, j’aurais suivi sa trace, et voilà ma carrière entièrement dérangée et perdue.

« 2° Si je m’étais trouvé plus âgé au moment de la révolution, j’eusse été peut-être moi-même nommé député. Ardent et chaud, j’eusse marqué infailliblement quelque opinion que j’eusse suivie ; mais, dans tous les cas, je me serais fermé la route militaire, et alors encore voilà ma carrière perdue.

« 3° Si même ma famille eût été plus connue, si nous eussions été plus riches, plus en évidence, ma qualité de noble, même en suivant la route de la révolution, m’eût frappé de nullité ou de proscription. Jamais je n’eusse obtenu la confiance ; jamais je n’eusse commandé une armée ; ou si je l’eusse commandée, je n’eusse jamais osé tout ce que j’ai fait. Supposant même tous mes succès, je n’aurais pu suivre le penchant de mes idées libérales à l’égard des prêtres et des nobles, et je ne fusse jamais parvenu à la tête du gouvernement.

« 4° Il n’est pas jusqu’au grand nombre de mes frères et de mes sœurs qui ne m’ait été grandement utile, en multipliant mes rapports et mes moyens d’influence.

« 5° La circonstance de mon mariage avec madame de Beauharnais m’a mis en point de contact avec tout un parti qui m’était nécessaire pour concourir à mon système de fusion, un des principes les plus grands de mon administration, et qui la caractérisera spécialement. Sans ma femme, je n’aurais jamais pu avoir avec ce parti aucun rapport naturel.

« 6° Il n’y a pas jusqu’à mon origine étrangère, contre laquelle on a