Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/567

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mêmes ne trouvaient en lui qu’un défaut : Ah ! que n’est-il légitime ! leur est-il arrivé de dire plus d’une fois. Austerlitz nous ébranla, mais ne nous vainquit pas ; Tilsit subjugua tout. « Votre Majesté, disais-je, a dû juger elle-même et jouir à son retour de l’universalité des hommages, des acclamations et des vœux.

« – C’est donc à dire, reprenait l’Empereur en riant, que si, à cette époque, j’eusse pu ou j’eusse voulu m’en tenir au repos et au plaisir, si j’eusse adopté le rôle des fainéants, si tout eût repris son ancien cours, vous m’eussiez adoré ? Mais, mon cher, si j’en eusse eu le goût et la volonté, ce qui n’était pas dans ma nature assurément, les circonstances mêmes encore ne m’en eussent pas laissé le maître. »

De là l’Empereur est passé aux difficultés sans nombre qui l’ont entouré et maîtrisé sans cesse ; et, arrivé à la guerre d’Espagne, il a dit : « Cette malheureuse guerre m’a perdu ; elle a divisé mes forces, multiplié mes efforts, attaqué ma moralité ; et pourtant on ne pouvait laisser la Péninsule aux machinations des Anglais, aux intrigues, à l’espoir, au prétexte des Bourbons. Du reste, ceux d’Espagne méritaient bien peu qu’on les craignît : nationalement, ils nous étaient et nous leur étions tout à fait étrangers : au château de Marrach, à Bayonne, j’ai vu Charles IV et la reine ne pas savoir la différence de madame de Montmorency aux dames nouvelles ; les derniers noms leur étaient même plus familiers, à cause des gazettes et des actes publics. L’impératrice Joséphine, qui avait le tact le plus exquis sur tout cela, n’en revenait point. Quoi qu’il en soit, cette famille était à mes pieds pour que j’adoptasse une fille quelconque et que j’en fisse une princesse des Asturies. Ils me demandèrent nommément mademoiselle de Tascher, depuis duchesse d’Aremberg ; des raisons personnelles à moi s’y opposèrent. Un instant je m’étais fixé sur mademoiselle de La Rochefoucauld, depuis princesse Aldobrandini ; mais il me fallait quelqu’un qui me fût vraiment attaché, une femme qui fût uniquement Française, qui eût la tête, les talents à la hauteur d’une telle destinée, et je craignais de ne pas trouver tout cela. »

Puis, revenant à la guerre d’Espagne, l’Empereur a repris : « Cette combinaison m’a perdu. Toutes les circonstances de mes désastres viennent se rattacher à ce nœud fatal ; elle a détruit ma moralité en Europe, compliqué mes embarras, ouvert une école aux soldats anglais. C’est moi qui ai formé l’armée anglaise dans la Péninsule.

Les évènements ont prouvé que j’avais fait une grande faute dans le choix de mes moyens ; car la faute est dans les moyens bien plus que