Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/579

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pas que je le console ! Eh ! combien d’hommes ne sont coupables qu’à cause de leur faiblesse pour leurs femmes ! Qu’il soit donc permis à celles qui ont causé leurs malheurs de les adoucir en les partageant. Si une femme satisfait à ce devoir, vous estimez sa vertu, et cependant vous ne mettez aucune différence entre elle et l’être infâme qui se prostitue, etc., etc. » On pourrait faire des volumes de pareilles citations.

En 1815, après la restauration, causant avec M. Bertrand de Molleville, ancien ministre de la marine de Louis XVI, homme très capable et fort distingué à plus d’un titre, il me disait : « Votre Buonaparte, votre Napoléon, était un homme bien extraordinaire, il faut en convenir. Que nous étions loin de le connaître de l’autre côté de l’eau ! Nous ne pouvions nous refuser à l’évidence de ses victoires et de ses invasions, il est vrai ; mais Genseric, Attila, Alaric, en avaient fait autant. Aussi me laissait-il l’impression de la terreur bien plus que celle de l’admiration. Mais depuis que je suis ici, je me suis avisé de mettre le nez dans les discussions du Code civil, et dès cet instant ce n’a plus été que de la profonde vénération. Mais où diable avait-il appris tout cela !… Et puis voilà que chaque jour je découvre quelque chose de nouveau. Ah ! Monsieur, quel homme vous aviez là ! Vraiment, il faut que ce soit un prodige !… »

Sur les cinq heures, l’Empereur a reçu le capitaine Bowen, de la frégate la Salcète, qui part demain. Il a été fort gracieux pour lui, et comme la conversation a amené le nom de lord Saint-Vincent, qu’il disait être son protecteur, l’Empereur, lui a dit : « Vous le verrez. Eh bien, je vous charge de lui faire mes compliments comme à un bon matelot, à un brave et digne vétéran. »

Sur les sept heures, l’Empereur s’est mis au bain ; il m’a fait venir, et nous avons beaucoup parlé des affaires du jour, puis de littérature, et enfin de géographie. Il s’étonnait qu’on n’eût pas de notions certaines sur l’intérieur de l’Afrique. Je lui disais que j’avais eu l’idée, il y a quelques années, de présenter à son ministre de la marine un projet de voyage dans l’intérieur de l’Afrique ; non pas une excursion furtive et aventureuse, mais une véritable expédition militaire, digne en tout du temps et du faire de l’Empereur. Le ministre me rit au nez lors de ma première conversation à ce sujet, et traita mon idée de folie.

J’avais voulu, disais-je, attaquer l’Afrique par les quatre points cardinaux, soit que de ces quatre points on fût venu se réunir au centre, soit que, débarquées à l’est et à l’ouest, vers son milieu, les deux parties de l’expédition fussent venues au-devant l’une de l’autre, pour se séparer de