Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/578

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Qu’après dix ans de mariage le divorce ne soit plus admis que pour des raisons très graves, on le conçoit ; mais puisque les mariages contractés dans la première jeunesse sont si rarement l’ouvrage des époux, puisque ce sont les familles qui les forment d’après certaines idées de convenances, il faut que si les époux reconnaissent qu’ils ne sont pas faits l’un pour l’autre, ils puissent rompre une union sur laquelle il ne leur a pas été permis de réfléchir. Cependant cette facilité ne doit favoriser ni la légèreté ni la passion ; qu’on l’entoure donc de toutes les précautions, de toutes les formes propres à en prévenir l’abus ; qu’on décide, par exemple, que les époux seront entendus par un conseil secret de famille formé sous la présidence du magistrat ; qu’on ajoute encore, si l’on veut, qu’une femme ne pourra user qu’une fois du divorce ; qu’on ne lui permette de se marier qu’après cinq ans, afin que le projet d’un autre mariage ne la porte pas à dissoudre le premier ; qu’après dix ans de mariage, la dissolution soit rendue très difficile.

« Vouloir n’admettre le divorce que pour cause d’adultère publiquement prouvé, c’est le proscrire absolument ; car, d’un côté, peu d’adultères peuvent être prouvés ; de l’autre, il est peu d’hommes assez éhontés pour proclamer la turpitude de leurs épouses. Il serait d’ailleurs scandaleux et contre l’honneur de la nation de révéler ce qui se passe dans un certain nombre de ménages ; on en conclurait, quoiqu’à tort, que ce sont là les mœurs françaises. »

Les premiers légistes du Conseil étaient pour que la mort civile entraînât la dissolution du contrat civil du mariage. La discussion fut très vive. Le Premier Consul, dans un beau mouvement, s’y opposa en ces termes : « Il serait donc défendu à une femme profondément convaincue de l’innocence de son mari de suivre dans sa déportation l’homme auquel elle est le plus étroitement unie ; ou si elle cédait à sa conviction, à son devoir, elle ne serait plus qu’une concubine ! Pourquoi ôter à ces infortunés le droit de vivre l’un auprès de l’autre, sous le titre honorable d’époux légitimes ?

« Si la loi permet à la femme de suivre son mari sans lui accorder le titre d’épouse, elle permet l’adultère.

« La société est assez vengée par la condamnation, lorsque le coupable est privé de ses biens, séparé de ses amis, de ses habitudes ; faut-il encore étendre la peine jusqu’à la femme, et l’arracher avec violence à une union qui identifie son existence avec celle de son époux ? Elle vous dirait : Mieux valait lui ôter la vie, du moins me serait-il permis de chérir sa mémoire ; mais vous ordonnez qu’il vive, et vous ne voulez