Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/590

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demander. Depuis deux jours il n’était pas bien : ceci a achevé de le bouleverser. « Eh bien ! m’a-t-il dit en m’apercevant, la crise a été forte, je me suis fâché, mon cher ! on m’a envoyé plus qu’un geôlier ! sir Lowe est un bourreau ! Quoi qu’il en soit, je l’ai reçu aujourd’hui avec ma figure d’ouragan, la tête penchée et l’oreille en avant. Nous nous sommes considérés comme deux béliers qui allaient s’encorner ; et mon émotion doit avoir été bien forte, car j’ai senti la vibration de mon mollet gauche. C’est un grand signe chez moi, et cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps. »

Le gouverneur avait abordé l’Empereur avec embarras et en phrases coupées. Il était arrivé des pièces de bois, disait-il… Les journaux devaient le lui avoir appris, à lui Napoléon… C’était une habitation pour lui… Il serait bien aise de savoir ce qu’il en pensait… etc., etc. À quoi l’Empereur a répondu par le silence et un geste très significatif. Puis, passant rapidement à d’autres objets, il lui a dit avec chaleur qu’il ne lui demandait rien, qu’il ne voulait rien de lui, que seulement il le priait de le laisser tranquille ; que tout en se plaignant de l’amiral, il lui avait constamment reconnu un cœur ; qu’au milieu et en dépit de ses contrariétés, il l’avait pourtant reçu toujours en parfaite confiance ; qu’il n’en était plus de même aujourd’hui ; que depuis un mois que lui Napoléon se trouvait en d’autres mains, il avait été plus agacé que durant les six autres mois qu’il avait été dans l’île.

Le gouverneur ayant répondu qu’il n’était pas venu pour recevoir des leçons : « Ce n’est pourtant pas faute que vous en ayez besoin, a repris l’Empereur. Vous avez dit, Monsieur, que vos instructions étaient bien plus terribles que celles de l’amiral. Sont-elles de me faire mourir par le fer ou par le poison ? Je m’attends à tout de la part de vos ministres : me voilà, exécutez votre victime ! J’ignore comment vous vous y prendrez pour le poison ; mais quant à m’immoler par le fer, vous en avez déjà trouvé le moyen. S’il vous arrive, ainsi que vous m’en avez fait menacer, de violer mon intérieur, je vous préviens que le brave 53e n’y entrera que sur mon cadavre.

« En apprenant votre arrivée, je me félicitais de trouver un général de terre, qui, ayant été sur le continent et dans les grandes affaires, aurait su employer des mesures convenables vis-à-vis de moi ; je me trompais grossièrement. » Le gouverneur ayant dit qu’il était militaire dans l’intérêt et les formes de sa nation, l’Empereur a repris : « Votre nation, votre gouvernement, vous-même, serez couverts d’opprobre à mon sujet ; vos enfants le partageront ; ainsi le voudra la