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gouverneur était venu pendant notre absence, et qu’il avait arrêté lui-même un de nos domestiques, dernièrement au service du sous-gouverneur Skelton, et depuis peu de jours à celui du général Montholon. En l’apprenant, l’Empereur a dit : « Quelle turpitude ! c’est ignoble ! un gouverneur !… Un lieutenant-général anglais, arrêter lui-même un domestique ! Vraiment, c’est par trop dégoûtant !… »

Après le dîner, l’Empereur a demandé : « Que lirons-nous ce soir ? » On s’est accordé pour la Bible. « C’est assurément bien édifiant, a remarqué l’Empereur : on ne le devinerait point en Europe. » Et il nous a lu le livre de Judith, disant à presque chaque lieu, chaque ville ou village qu’il nommait : « J’ai campé là ; j’ai enlevé ce poste d’assaut ; j’ai donné bataille dans ce lieu-là, etc., etc. »


Caprices de l’autorité – La princesse Stéphanie de Bade, etc..


Mercredi 22.

Dans la journée, il a été beaucoup question des matelots anglais du Northumberland qu’on nous avait donnés comme domestiques, et qu’il s’agissait de nous retirer en cet instant. Ils étaient pourtant avec nous en vertu d’un contrat réciproque qui liait les deux parties pour un an. Mais nous sommes en dehors du droit commun. Le gouverneur disait que l’amiral les demandait absolument ; l’amiral disait qu’il les laisserait si le gouverneur le voulait. On nous donnait des soldats en échange ; mais on nous les a pris, rendus, repris et rendus de nouveau, sans que nous pussions deviner ce qu’on voulait.

Me trouvant chez l’Empereur, et, en attendant son dîner, la conversation est tombée sur l’établissement de madame Campan ; les personnes qui y ont été élevées, les fortunes que l’Empereur a faites à plusieurs d’entre elles ; et il s’est arrêté particulièrement sur Stéphanie de Beauharnais, devenue princesse de Bade, qu’il a dit affectionner beaucoup ; et il est entré dans un grand nombre de détails à son sujet.

La princesse Stéphanie de Bade avait perdu sa mère n’étant encore qu’une enfant, et fut laissée par elle aux soins d’une Anglaise, son amie intime ; celle-ci, fort riche et sans enfants, l’avait en quelque sorte adoptée, et avait confié son éducation à d’anciennes religieuses, dans le midi de la France, à Montauban, je crois.

Napoléon, encore Premier Consul, entendit un jour Joséphine ; dont elle était la parente, mentionner cette circonstance. « Comment pouvez-vous, s’écria-t-il, permettre une pareille chose ? Quelqu’un de votre nom à la charge d’une étrangère, d’une Anglaise, en cet instant notre