Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/605

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ennemie ! Ne craignez-vous pas que votre mémoire n’en souffre un jour ? » Et aussitôt un courrier fut expédié pour ramener la jeune enfant aux Tuileries ; mais les religieuses ne voulurent point s’en dessaisir. Napoléon, heurté, prit les informations et autorisations nécessaires, et bientôt il fut expédié un second courrier au préfet du lieu, avec ordre de se saisir à l’instant même de la jeune Beauharnais, au nom de la loi.

Or telles étaient, par les circonstances du temps, certaines éducations et les opinions qu’elles pouvaient inspirer, que la jeune Stéphanie ne se vit pas réclamée sans douleur, et qu’elle ne vit pas sans effroi celui qui se disait son allié et voulait être son bienfaiteur. Elle fut placée chez madame Campan, à Saint-Germain ; on lui prodigua toutes sortes de maîtres, et elle n’en sortit que pour jeter un grand éclat par sa beauté, ses grâces, son esprit et ses vertus.

L’Empereur l’adopta pour fille, et la maria au prince héréditaire de Bade. Le mariage, durant quelques années, fut loin d’être heureux ; mais avec le temps les préventions disparurent, les époux se réunirent, et ils n’ont plus eu dès cet instant, qu’à regretter le bonheur dont ils s’étaient privés.

La princesse de Bade, aux conférences d’Erfurt, avait été fort distinguée par l’empereur Alexandre, son beau-frère, qui lui prodiguait de véritables attentions. On le savait, et, pour y obvier, les gens dirigeant la haute politique lors de nos désastres de 1813, craignant l’entrevue d’Alexandre avec la princesse de Bade, à Manheim, cherchèrent à détruire à temps son influence par des rapports mensongers et des propos inventés qui lui aliénèrent la bienveillance de ce monarque. Aussi, lors de l’arrivée d’Alexandre à Manheim, dans sa marche triomphale vers Paris, la princesse Stéphanie fut loin d’en être bien traitée : elle put s’en trouver blessée dans ses sentiments ; mais sa fierté demeura tout entière, et alors commença pour son mari une véritable gloire de caractère. Les personnages les plus augustes le circonvinrent de toutes parts, et l’importunèrent longtemps pour qu’il répudiât la femme qu’il avait reçue de Napoléon ; mais il s’y refusa constamment, répondant avec une noble fierté qu’il ne commettrait jamais une bassesse qui répugnait autant à sa tendresse qu’à son honneur. Ce prince généreux, auquel nous n’avions pas rendu assez de justice à Paris, a succombé depuis sous une maladie longue et douloureuse, durant laquelle la princesse lui a prodigué jusqu’au dernier moment, de ses propres mains, les soins les plus minutieux et les plus touchants, qui lui ont mérité