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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/611

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Politique du moment – Sentiments vraiment patriotiques de l’Empereur ; beau mouvement de l’Empereur – Horoscope touchant son fils, etc., etc..


Vendredi 24.

L’Empereur n’est sorti que pour monter en calèche. Notre promenade a été de près d’une heure et demie ; nous allions lentement, et nous avons redoublé notre tour. L’Empereur était sur la politique ; la lecture des derniers journaux arrivés depuis trois jours en a fourni le sujet. En France, l’émigration des patriotes était nombreuse, rapide, et l’on semblait vouloir la favoriser en ne confisquant pas les biens, etc., etc… . . . . . .

L’Empereur croyait voir dans les débats du parlement d’Angleterre l’arrière-pensée du partage de la France ; il en était navré. « Tout cœur vraiment français, disait-il, doit être au désespoir ; une immense majorité sur le sol de la patrie doit ressentir les angoisses de la plus vive douleur. Ah ! s’est-il écrié, que ne suis-je dans une sphère en dehors de ce globe ! Que n’ai-je le pied sur un sol évidemment libre et indépendant ; où l’on ne pourrait soupçonner aucune influence d’autrui ! que j’étonnerais le monde ! J’adresserais une proclamation aux Français ; je leur crierais : Vous allez finir, si vous ne vous réunissez. L’odieux, l’insolent étranger va vous morceler, vous anéantir. Relevez-vous, Français ! faites masse à tout prix : ralliez-vous, s’il le faut, même aux Bourbons… car l’existence de la patrie, son salut avant tout !… »

Toutefois il pensait que la Russie devait combattre ce partage ; elle devait avoir à craindre par là l’accroissement et l’agglomération de l’Allemagne contre elle. L’un de nous ayant fait observer que l’Autriche devait s’y opposer aussi, dans la crainte de n’avoir plus un soutien nécessaire contre les entreprises de la Russie, et ayant de plus mentionné qu’elle pourrait vouloir être utile au roi de Rome et s’en servir. L’Empereur a répliqué : « Oui, comme d’instrument de menace peut-être, mais jamais comme un objet de bienveillance ; il doit leur être trop redoutable. Le roi de Rome serait l’homme des peuples, il sera celui de l’Italie. Aussi la politique autrichienne le tuera, peut-être pas sous son grand-père, qui est un honnête homme, mais qui ne vivra pas toujours : ou bien encore, si les mœurs de nos jours n’admettent pas un tel attentat, alors ils essaieront d’abrutir ses facultés, ils l’hébéteront ; et si enfin il échappait à l’assassinat physique et à l’assassinat moral, si sa mère et la nature venaient à le sauver de tous ces dangers, alors !… alors !… a-t-il répété plusieurs fois comme en cherchant, alors !… comme alors !… car qui peut assigner les destinées d’aucun ici-bas ! »

L’Empereur est retourné de là à l’Angleterre, concluant qu’elle seule était véritablement intéressée à la destruction de la France ; et, dans l’abondance, la mobilité de son esprit, il s’est mis à parcourir les di-