Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/617

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comme le coton, et il ne doutait pas que ce résultat n’eût été obtenu, et que la fatalité des circonstances eût seule empêché de consacrer cette magnifique découverte, etc., etc. (Effectivement, elle avait été obtenue dans la Belgique.)

Les ennemis de notre propre bien, la vieille aristocratie, disait-il, s’était perdue en mauvaises plaisanteries, en frivoles caricatures sur tous ces objets ; mais les Anglais, qui sentaient le coup, n’en riaient point, et en demeurent encore affectés aujourd’hui.

Quelque temps avant le dîner, l’Empereur m’a fait venir dans sa chambre : il était fort souffrant ; il essayait de causer ; il n’en avait pas la force ; il attribuait sa situation à de mauvais vin nouvellement arrivé. Et à propos de vin, il racontait que Corvisart, Bertholet et autres chimistes et médecins lui avaient souvent recommandé et répété, à lui qui était si éminemment exposé, que si jamais en buvant il lui arrivait de trouver le moindre mauvais goût à du vin, il devait le cracher à l’instant.

De là, la conversation l’a conduit à s’étonner du caractère de quelqu’un dont les traits étaient un vrai contraste avec ce caractère. « Cela prouve, disait-il, qu’on ne doit pas prendre les hommes à leur visage ; on ne les connaît bien qu’à l’essai. Que de figures j’ai eues à juger dans ma vie ! que d’expériences j’ai pu faire ! que de dénonciations, que de rapports j’ai entendus ! Aussi m’étais-je fait la loi constante de ne plus me laisser influencer jamais par les traits ni par les paroles. Néanmoins il faut convenir que les traits fournissent parfois de bizarres rapprochements ! Par exemple, en considérant notre Monseigneur (le gouverneur), qui ne trouve du chat-tigre dans ses traits ? Autre exemple : J’avais quelqu’un en service intime auprès de moi ; je l’aimais beaucoup, et j’ai été obligé de le chasser, parce que je l’ai pris plusieurs fois la main dans le sac, et qu’il volait par trop impudemment : eh bien ! qu’on le regarde, on lui trouvera un œil de pie. »

À ce sujet, je citais Mirabeau, qui, en parlant du visage d’un membre distingué de nos diverses législatures, le sénateur Pastoret, disait : « Il y a du tigre et du veau, mais le veau domine. » Ce qui a beaucoup fait rire Napoléon, parce que cela, remarquait-il, était exactement vrai.


L’Empereur devant le camp anglais.


Mardi 28.

L’Empereur est sorti vers les deux heures. Le temps était fort doux et fort agréable. Nous avons été en calèche près d’une heure. Il avait d’abord été question d’aller à cheval ; l’Empereur en sent le besoin pour sa santé, mais il semble y porter un dégoût extrême : il ne saurait, dit-il, tourner sur lui-même de la sorte ; dans nos limites il se croit dans un