Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/616

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Dans un autre endroit l’Empereur disait : « Je ne suis pas un dieu ; je ne pouvais pas faire tout à moi seul ; je ne pouvais sauver la nation qu’avec elle-même. J’étais bien sûr que le peuple avait ce sentiment ; aussi souffre-t-il aujourd’hui sans l’avoir mérité. C’est la tourbe des intrigants, ce sont les gens à titres, à emplois, qui ont été les vrais coupables. Ce qui les a séduits, ce qui m’a perdu, c’est la douceur du système de 1814, la bénignité de la restauration ; ils ont cru à sa répétition. Le changement de prince était devenu pour eux une mauvaise plaisanterie. Il n’y en a pas un qui n’ait cru demeurer tout ce qu’il était en me voyant remplacé par Louis XVIII ou par tout autre. Dans cette grande affaire, ces hommes malhabiles, avides, égoïstes, ne voyaient qu’une compétition qui leur importait peu, et ne songeaient qu’à leurs intérêts individuels, lorsqu’il s’agissait d’une guerre de principes à mort qui devait les dévorer tous ; et puis pourquoi le dissimuler ? convenons-en, j’avais élevé et il s’est trouvé dans mon entourage de fiers misérables. » Et se tournant vers moi, il a ajouté : « Et ceci encore n’est pas pour votre faubourg Saint-Germain ; son affaire est une autre question. Ceux-là ne sont pas sans pouvoir fournir quelque espèce d’excuse. Lors du premier renversement, en 1814, les grands traîtres ne sont pas partis de là. Je n’eus pas trop à m’en plaindre, et, à mon retour, ils ne me devaient plus rien. J’avais abdiqué, le roi était revenu ; ils étaient retournés à leurs premières affections. Ils avaient recommencé un nouveau bail, etc., etc. »


État de l’industrie en France – Sur les physionomies.


Lundi 27.

L’Empereur a marché vers l’extrémité du bois, en attendant que la calèche vînt nous prendre. Nous avons fait notre tour ordinaire. La conversation est tombée sur l’état de l’industrie en France. L’Empereur l’avait portée, disait-il, à un degré inconnu jusqu’à lui ; et on ne le croyait pas en Europe, même en France. Les étrangers en ont été grandement surpris à leur arrivée. L’abbé de Montesquiou, disait-il, ne revenait pas d’en avoir les preuves en main lors de son ministère de l’intérieur.

L’Empereur était le premier en France qui eût dit : d’abord l’agriculture, puis l’industrie, c’est-à-dire les manufactures ; enfin le commerce qui ne doit être que la surabondance des deux premiers. C’était encore lui qui avait défini et mis en pratique d’une manière claire et suivie les intérêts si divergents des manufacturiers et des négociants. C’était lui à qui on devait la conquête du sucre, de l’indigo et du coton. Il avait proposé un million pour celui qui parviendrait à filer, par mécanique, le lin