Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/621

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compagnon, le caractère qu’il lui avait laissé apercevoir, l’opinion qu’il lui avait inspirée, il lui dit : Ô Napoléon ! tu n’as rien de moderne ! tu appartiens tout à fait à Plutarque.

Quand Paoli voulut livrer son île aux Anglais, la famille Bonaparte demeura chaude à la tête du parti français, et eut le fatal honneur de voir intimer contre elle une marche des habitants de l’île, c’est-à-dire d’être attaquée par la levée en masse.

« Douze ou quinze mille paysans, disait l’Empereur, fondirent des montagnes sur Ajaccio ; notre maison fut pillée et brûlée, les vignes perdues, les troupeaux détruits. Madame, entourée d’un petit nombre de fidèles, fut réduite à errer quelque temps sur la côte, et dut gagner la France. Toutefois Paoli, à qui notre famille avait été si attachée, et qui lui-même avait toujours professé une considération particulière pour Madame, Paoli avait essayé près d’elle la persuasion ayant d’employer la force. Renoncez à votre opposition, lui avait-il fait dire, elle perdra vous, les vôtres, votre fortune ; les maux seront incalculables, rien ne pourra les réparer. » En effet, l’Empereur faisait observer que sans les chances que lui a procurées la révolution, sa famille ne s’en serait jamais relevée. « Madame répondit en héroïne, et comme eût fait Cornélie, disait Napoléon, qu’elle ne connaissait pas deux lois, qu’elle, ses enfants, sa famille, ne connaissaient que celle du devoir et de l’honneur. Si le vieil archidiacre Lucien eût vécu, ajoutait l’Empereur, son cœur eût saigné à l’idée du péril de ses moutons, de ses chèvres et de ses bœufs, et sa prudence n’eût pas manqué de conjurer l’orage. »

Madame, victime de son patriotisme et de son dévouement à la France, crut être accueillie à Marseille en émigrée de distinction ; elle s’y trouva perdue, à peine en sûreté, et fut fort déconcertée de ne trouver le patriotisme que dans les rues et tout à fait dans la boue.

Napoléon, dans sa jeunesse, avait écrit une histoire de la Corse, qu’il adressa à l’abbé Raynal, ce qui lui valut quelques lettres et des distinctions flatteuses de la part de cet écrivain, alors l’homme à la mode. Cette histoire s’est perdue.

L’Empereur nous disait que, lors de la guerre de Corse, aucun des Français qui étaient venus dans l’île n’en sortait tiède sur le caractère de ses montagnards ; les uns en étaient pleins d’enthousiasme, les autres ne voulaient y voir que des brigands.

À Paris, on avait dit au Sénat que la France avait été cherché un maître chez un peuple dont les Romains ne voulaient pas pour esclaves.