Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/624

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pas effaroucher les opinions publiques : on ne voulait pas de faiseurs d’affaires, afin de relever les mœurs nouvelles ; il ne restait pas grand-chose : aussi fut-ce d’abord pendant quelque temps une espèce de lanterne magique fort mêlée et très changeante. Cependant cette réunion eut bientôt sa couleur, son ton, son mérite.

À Moscou, le vice-roi trouva une correspondance de la princesse Dolgorowcki, qui avait habité Paris à cette époque. Elle parlait fort bien des Tuileries dans ses lettres. Elle disait que ce n’était pas précisément une cour, mais que ce n’était pas non plus un camp ; que c’était une autorité, une tenue toute nouvelle ; que le Premier Consul n’avait pas le chapeau sous le bras ni l’épée d’acier, il est vrai, mais que ce n’était pas non plus un homme à sabre, etc., etc. « Et, continuait l’Empereur, voilà pourtant ce que sont les hommes et les rapports ; c’est sur de pareilles expressions, mais mal présentées, que la princesse Dolgorowcki a dû être fort maltraitée par moi. Je dois lui avoir donné l’ordre dans le temps de quitter la France ; nous la supposions mauvaise, et nous étions, comme on le voit, dans l’erreur. Madame Grant, dont le ministre des relations étrangères n’avait point encore fait sa femme, a beaucoup contribué à nous aliéner les Russes. »

L’Empereur disait qu’au retour de l’île d’Elbe il aurait éprouvé moins d’embarras pour composer sa société. « Elle était même toute trouvée, ajoutait-il, dans ce que j’appelais mes veuves : la duchesse d’Istrie, madame Duroc, mesdames Regnier, Legrand et toutes les autres veuves de mes premiers généraux. Je disais aux princesses qui me demandaient comment recomposer leur cour de suivre mon exemple. Rien n’était plus naturel, plus beau, plus moral. Elles étaient encore jeunes, et pourtant déjà formées au monde ; dans le nombre il s’en trouvait même de charmantes et de fort aimables : la plupart auront été ruinées ; plusieurs, dit-on, se remarient et changent de nom, de sorte que de tant de fortunes et de tant d’élévation fondées par moi, tout, jusqu’aux noms mêmes, disparaîtra peut-être. S’il en était ainsi, ne donneront-ils pas l’occasion de dire qu’il fallait après tout qu’il y eût un vice radical dans les choix que j’avais faits ? Ce serait du reste tant pis pour eux ; ils ne feront là que ménager un triomphe et des insolences à la vieille aristocratie. »

Nous sommes revenus à lui rappeler la course à cheval ; nous y tenions, parce que nous savions que sa santé en dépendait, mais il n’y a pas eu moyen. « Nous sommes bien ici, a-t-il dit, bâtissons-y trois tentes, etc., etc. » Et la causerie a continué sur le faubourg Saint-Ger-