Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/627

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On lui faisait observer qu’il ne pouvait en être ainsi que dans les temps de ténèbres et d’ignorance ; qu’aujourd’hui la quantité d’actes et de monuments publics, l’impression, la gravure et l’universalité des lumières feraient toujours ressortir la vérité pour ceux qui voudraient la connaître, que chaque parti aurait ses historiens, à l’aide desquels l’homme sage pourrait toujours porter un jugement impartial.

L’Empereur alors a repris toute l’affaire de Moreau, Georges et Pichegru, dont j’ai déjà parlé et dont j’ai promis plus tard les détails ; il a dit aujourd’hui que celui qui confessa les premières indications désigna, sans pouvoir la nommer, une personne à laquelle Georges et les autres chefs ne parlaient que chapeau bas, avec beaucoup d’égards et de respect. On présuma d’abord que ce devait être le duc de Berri. Un instant on pensa que cela avait pu être l’apparition momentanée du duc d’Enghien. Un des conspirateurs, que la mélancolie saisit dans sa prison, déchira le voile sans intention. Il se pendit peu de jours après son arrestation ; on accourut au bruit, on le délivra, mais la nature avait repris ses droits : gisant sur son grabat, et dans la crise qu’il venait d’éprouver, il répétait des imprécations contre Moreau, l’accusait d’avoir appelé traîtreusement un bon nombre d’honnêtes gens, de leur avoir promis une grande assistance, et de n’avoir personne ; il nommait aussi Georges et Pichegru. Ce furent les premiers soupçons qu’on eut contre Moreau, les premiers indices contre Pichegru ; on n’avait pensé jusque-là ni à l’un ni à l’autre. Ce fut alors que Réal, qui était accouru à cette espèce de confession de mort, proposa au Consul d’arrêter Moreau.

« La crise était des plus fortes, disait l’Empereur ; l’opinion publique fermentait, on calomniait la sincérité du gouvernement sur la conspiration dont il parlait, sur les conspirateurs qu’il dénonçait. Ils étaient au nombre d’environ quarante que le gouvernement affirmait être dans Paris. On en publia les noms, et le Premier Consul mit son honneur à s’en saisir. Il manda Bessières, et commanda que sa garde entourât Paris et gardât ses murailles. Pendant six semaines personne ne sortit plus de Paris sans des motifs précis et autorisés. Tous les esprits étaient sombres ; mais chaque matin le Moniteur annonçait la capture d’un, deux ou trois des individus mentionnés. L’opinion tourna, elle me revint, et l’indignation croissait à mesure qu’on saisissait des conspirateurs. Il n’en échappa pas un seul, ils furent tous arrêtés. »

Les papiers du temps disent comment le fut Georges, qui ne succomba qu’après avoir tué deux hommes. Il paraît qu’il avait été trahi par son