Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/654

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« Monsieur le général en chef, les braves militaires font la guerre et désirent la paix : celle-ci ne dure-t-elle pas depuis six ans ? Avons-nous assez tué de monde et assez commis de maux à la triste humanité ? Elle réclame de tous côtés. L’Europe, qui avait pris les armes contre la république française, les a posées ; votre nation reste seule, et cependant le sang va couler encore plus que jamais. Cette sixième campagne s’annonce par des présages sinistres ; quelle qu’en soit l’issue, nous tuerons de part et d’autre quelques milliers d’hommes de plus, et il faudra bien que l’on finisse par s’entendre, puisque tout a un terme, même les passions haineuses !

« Le Directoire exécutif de la république française avait fait connaître à Sa Majesté l’empereur le désir de mettre fin à la guerre qui désole tous les peuples ; l’intervention de la cour de Londres s’y est opposée : n’y a-t-il donc aucun espoir de nous entendre ? et faut-il, pour les intérêts et les passions d’une nation étrangère aux maux de la guerre, que nous continuions à nous entr’égorger ? Vous, Monsieur le général en chef, qui par votre naissance approchez si près du trône et êtes au-dessus de toutes les petites passions qui animent souvent les ministres et les gouvernements, êtes-vous décidé à mériter le titre de bienfaiteur de l’humanité entière et de vrai sauveur de l’Allemagne ? Ne croyez pas, Monsieur le général en chef, que j’entende par là qu’il ne soit pas possible de la sauver par la force des armes ; mais, dans la supposition que les chances de la guerre vous deviennent favorables, l’Allemagne n’en sera pas moins ravagée. Quant à moi, Monsieur le général en chef, si l’ouverture que je viens de vous faire peut sauver la vie à un seul homme, je m’estimerai plus fier de la couronne civique que je me trouverais avoir méritée, que de la triste gloire qui peut revenir des succès militaires.

« Je vous prie, etc.

Signé Buonaparte

Ces nouvelles laissèrent respirer à Vienne et y donnèrent quelques espérances. Le marquis de Gallo, ambassadeur de Naples, fut aussitôt envoyé au général français ; mais, n’ayant pas de pouvoirs, il fut obligé de retourner, après une conférence de deux heures. Le lendemain, les généraux Bellegarde et Merfelt vinrent au quartier-général français à Judemburg, et sur leur parole que des plénipotentiaires allaient arriver de Vienne pour y traiter de la paix définitive, ils obtinrent une suspension d’armes qui assurait à l’armée française la possession des pays qu’elle occupait déjà, et d’autres encore qu’elle n’occupait pas, mais qui