Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/653

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faisaient évacuer à la hâte ce qu’elles avaient de plus cher ; et les esprits les plus sages voyaient la monarchie à la veille d’un entier bouleversement.

Lorsque le général français avait ouvert la campagne, le gouvernement lui avait promis qu’aussitôt qu’il aurait passé l’Isonzo les armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse, fortes de plus de cent cinquante mille hommes, sortiraient de leurs quartiers d’hiver et pénétreraient en Allemagne. Mais l’Isonzo était déjà passé depuis longtemps, et ces armées demeuraient encore dans leurs quartiers d’hiver. Le général français, profitant de la victoire du Tagliamento et des fausses directions que le prince Charles avait données à ses colonnes, avait franchi et sans perte, par cette seule victoire, tous les obstacles entre les Alpes et le Simmering.

VII. Napoléon écrit au prince Charles. — Le lendemain de la victoire du Tagliamento, Napoléon instruisit le Directoire qu’il suivait le prince Charles l’épée dans les reins, et que bientôt les drapeaux français flotteraient sur les sommités du Simmering ; qu’il se flattait que les armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse étaient en marche, ou que, si elles n’y étaient pas, elles y seraient bientôt ; il insistait surtout pour connaître le moment précis de leurs mouvements ; quinze à vingt jours de retard lui importaient peu, mais il devait en être instruit, afin d’agir en conséquence ; il prévenait qu’il aurait constamment toute son armée réunie sous sa main, et que ses positions seraient telles qu’il demeurerait toujours maître des évènements, qu’il suffirait donc de lui désigner seulement l’époque précise de la marche de ces deux armées. Ce fut à Clagenfurt qu’il reçut la réponse à cette dépêche : elle portait les félicitations du Directoire sur ses nouveaux succès, mais contenait en même temps la déclaration singulière et inattendue que les armées du Rhin, de Sambre-et-Meuse ne passeraient pas le Rhin, et qu’on ne devait plus compter sur leur diversion en Allemagne, parce que les désastres de la campagne dernière les privaient de bateaux et du matériel nécessaire. Cette étrange dépêche ne pouvait provenir que d’intrigues ou de vues politiques qu’il devenait inutile de pénétrer ; seulement il ne convenait plus au général français de réaliser désormais ce qui avait été le plus ardent de ses vœux, de planter ses drapeaux victorieux sur les remparts de Vienne. Il ne devait plus songer à dépasser le Simmering sans manquer aux règles de la sagesse. Aussi, deux heures après la réception du courrier, il écrivit au prince Charles qu’ayant pouvoir de négocier, il lui offrait la gloire de donner la paix au monde et de finir les maux de son pays.