Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/660

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de solde arriérée, fait passer trente ou quarante millions aux caisses de France, et plusieurs centaines de millions en chefs-d’œuvre des arts, tout aux affaires publiques, avait négligé sa propre fortune. Il ne possédait pas cent mille écus en argenterie, bijoux, argent, meubles, etc. Une grande récompense nationale eut donc été tout à fait à sa place ; mais le Directoire, sans qu’on sache pourquoi, s’alarma de cette proposition, et ses affidés l’écartèrent, en répandant que les services du général n’étaient point de ceux qu’on récompense avec de l’argent.

Dès son arrivée, les chefs de tous les partis se présentèrent chez lui, mais ils n’y furent point admis. Le public était extrêmement avide de le voir ; les rues, les places par où l’on croyait qu’il passerait ; étaient pleines de monde, mais il ne se montrait nulle part.

L’Institut venait de le nommer membre de la classe de mécanique ; ce fut le costume qu’il adopta.

Il ne reçut d’habitude que quelques savants ; tels que Monge, Bertholet, Borda, Laplace, Prony, Lagrange ; peu de généraux, seulement Kléber, Desaix, Lefebvre, Cafarelli du Falga et un petit nombre de députés.

Le Directoire voulut le recevoir en audience publique ; on fit des échafaudages dans la place du Luxembourg pour cette cérémonie, où il fut conduit et présenté par le ministre des relations extérieures, Talleyrand. La substance de son discours fut que, quand la république aurait les meilleures lois organiques, son bonheur et celui de l’Europe seraient assurés. Il évita de parler de fructidor, des affaires du temps et de l’expédition d’Angleterre.

Ce discours simple donna cependant beaucoup à penser, et ne put donner prise à aucun ennemi. Le Directoire et le ministre des relations extérieures lui donnèrent deux fêtes ; il parut à l’une et à l’autre, y resta peu de temps. Il eut l’air d’être peu sensible à ces fêtes. Celle du ministre des relations extérieures, Talleyrand, fut marquée au coin du bon goût ; tout Paris y était. Une femme célèbre (madame de Staël), déterminée à lutter avec le vainqueur de l’Italie, l’interpella au milieu d’un grand cercle, lui demandant quelle était à ses yeux la première femme du monde morte ou vivante. Celle qui a fait le plus d’enfants, lui répondit-il.

On courait aux séances de l’Institut pour y voir le général ; il n’y manquait jamais. Il n’allait aux spectacles qu’en loges grillées. Il rejeta bien loin la proposition des administrateurs de l’Opéra qui voulaient donner une représentation d’apparat. Le maréchal de Saxe, de Lovendal, Dumouriez y avaient triomphé au retour de l’armée.