Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/681

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humeur détestable ; qu’il avait d’abord essayé de sortir vers une heure, mais qu’il était rentré bientôt, absorbé par le dégoût et l’ennui, et que, ne sachant que faire, il lui était venu dans l’idée de se remettre à dicter.

Il y avait longtemps que l’Empereur avait interrompu le travail régulier de ses Mémoires. Ma campagne d’Italie était finie depuis plusieurs mois ; celle d’Égypte de Bertrand l’était aussi ; le général Gourgaud avait été fort malade ; tout cela avait amené des lacunes qui avaient créé le dégoût. L’Empereur en était demeuré là, et ne se sentait pas le courage de s’y remettre. J’ai profité de ce qu’il venait de dire pour faire observer que ses dictées étaient pour lui le grand, le seul moyen de tromper son ennemi, d’user le temps ; et pour nous l’inestimable avantage d’acquérir de véritables trésors chers à l’honneur, à la gloire de la France ; qu’il était d’une importance réelle qu’il continuât son histoire. Chacun de nous, assurais-je, donnerait volontiers son sang pour l’obtenir ; il le devait à sa mémoire, à sa famille, à nous. Où son fils trouverait-il sa véritable histoire ? Qui pourrait la lui tracer dignement ? Sans ces documents précieux, que de choses finiraient avec Napoléon ! Nous qui l’entourions jadis, que savions-nous alors ? que n’avons-nous pas appris ici ? etc. L’Empereur a répondu qu’il allait s’y remettre, et il a posé la question sur le plan à suivre : serait-ce une histoire ? seraient-ce des annales ? il l’a discuté longtemps sans pouvoir rien arrêter.

À dîner, il a dit : « J’ai été fort grondé aujourd’hui sur ma paresse ; je viens donc me remettre au travail, attaquer plusieurs points à la fois, chacun aura son lot. Hérodote n’a-t-il pas, je crois, donné le nom des Muses à ses livres ? a-t-il dit en me regardant. Eh bien ! je veux que chacun des miens porte un des vôtres. Il n’y aura pas jusqu’au petit Emmanuel qui n’ait le sien. Je vais entamer le consulat avec Montholon. Gourgaud aura quelque autre époque ou des batailles détachées, et le petit Emmanuel préparera les pièces et les matériaux de l’époque du couronnement. »


École militaire – Plan d’éducation ordonné par l’Empereur – Ses intentions pour les vieux militaires – Changements opérés dans les habitudes de la capitale.


Mercredi 5.

L’Empereur est sorti vers les quatre heures : durant la promenade, la conversation a été sur l’ancienne École militaire de Paris, le luxe qu’on y employait à notre égard, la sévérité au contraire que l’Empereur avait établie dans les siennes.