Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/690

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d’hui même, il est l’ami de tous les protestants, qui lui accordent tout parce qu’ils ne le craignent pas. Il n’est l’ennemi que de l’Autriche catholique, parce que celle-ci serre de près son territoire, etc.

… . . . . . Nul doute, du reste, continuait-il encore, que mon espèce d’incrédulité ne fût, en ma qualité d’Empereur, un bienfait pour les peuples ; et autrement, comment aurais-je pu exercer une véritable tolérance ? comment aurais-je pu favoriser avec égalité des sectes aussi contraires, si j’avais été dominé par une seule ? comment aurais-je conservé l’indépendance de ma pensée et de mes mouvements, sous la suggestion d’un confesseur qui m’eût gouverné par les craintes de l’enfer ? Quel empire un méchant, le plus stupide des hommes, ne peut-il pas, à ce titre, exercer sur ceux qui gouvernent les nations ? N’est-ce pas alors le moucheur de chandelles qui, dans les coulisses, peut faire mouvoir à son gré l’Hercule de l’Opéra ? Qui doute que les dernières années de Louis XIV n’eussent été bien différentes avec un autre confesseur ? J’étais tellement pénétré de ces vérités que je me promettais bien de faire en sorte, autant qu’il eût été en moi, d’élever mon fils dans la même ligne religieuse où je me trouve, etc., etc. »

L’Empereur a terminé cette conversation en envoyant mon fils chercher l’Évangile, et le prenant au commencement, il ne s’est arrêté qu’après le discours de Jésus sur la montagne. Il se disait ravi, extasié de la pureté, du sublime et de la beauté d’une telle morale, et nous tous l’étions de même.


Portrait des directeurs – Anecdotes – 18 fructidor.


Dimanche 9.

L’Empereur a beaucoup parlé de la création du Directoire ; il l’avait installé, se trouvant alors commandant en chef de l’armée de l’intérieur. Cela l’a conduit à passer en revue les cinq directeurs dont il a donné les portraits et le caractère. Il a peint leurs ridicules et leurs fautes, ce qui a conduit aux évènements de fructidor, et a fourni un grand nombre de choses fort curieuses. Voici ce que j’en ai recueilli, partie de ses conversations perdues, partie de ses dictées sur les campagnes d’Italie.

« Barras, disait l’Empereur, d’une des bonnes familles de Provence, était officier au régiment de l’Île-de-France ; à la révolution, il fut nommé député à la Convention nationale par le département du Var. Il n’avait aucun talent pour la tribune, et nulle habitude de travail.