Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/689

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être. Je suis bien loin d’être athée, assurément ; mais je ne puis croire tout ce que l’on m’enseigne en dépit de ma raison, sous peine d’être faux et hypocrite.

« Sous l’empire, et surtout après le mariage de Marie-Louise, on fit tout au monde pour me porter, à la manière de nos rois, à aller en grande pompe communier à Notre-Dame ; je m’y refusai tout à fait : je n’y croyais pas assez, disais-je, pour que ce pût m’être bénéficiel, et je croyais trop encore pour m’exposer froidement à un sacrilège. » À cela, comme on citait quelqu’un qui s’était vanté en quelque sorte de n’avoir pas fait sa première communion : « C’est fort mal à lui, a repris l’Empereur : il a manqué là à son éducation, ou l’on s’est rendu coupable vis-à-vis d’elle. » Puis, continuant son sujet : « Dire d’où je viens, ce que je suis, où je vais, est au-dessus de mes idées, et pourtant tout cela est. Je suis la montre qui existe et qui ne se connaît pas. Toutefois le sentiment religieux est si consolant que c’est un bienfait du ciel que de le posséder. De quelle ressource ne nous serait-il pas ici ? quelle puissance pourraient avoir sur moi les hommes et les choses, si, prenant en vue de Dieu mes revers et mes peines, j’en attendais le bonheur futur pour récompense !… À quoi n’aurais-je pas droit, moi qui ai traversé une carrière aussi extraordinaire, aussi orageuse, sans commettre un seul crime ; et j’ai pu tant en commettre ! Je puis paraître devant ce tribunal de Dieu, je puis attendre son jugement sans crainte. Il n’entreverra jamais au-dedans de moi l’idée de l’assassinat, de l’empoisonnement, de la mort injuste ou préméditée, si commune dans les carrières qui ressemblent à la mienne. Je n’ai voulu que la gloire, la force, le lustre de la France ; toutes mes facultés, tous mes efforts, tous mes moments étaient là. Ce ne saurait être un crime, je n’ai vu là que des vertus ! Quelle serait donc ma jouissance, si le charme d’un avenir futur se présentait à moi pour couronner la fin de ma vie, etc. »

… . . . . . Plus loin, il disait : « Mais comment pouvoir être convaincu par la bouche absurde, par les actes iniques de la plupart de ceux qui nous prêchent ? Je suis entouré de prêtres qui me répètent sans cesse que leur règne n’est pas de ce monde, et ils se saisissent de tout ce qu’ils peuvent. Le pape est le chef de cette religion du ciel, et il ne s’occupe que de la terre. Que de choses celui d’aujourd’hui, qui assurément est un brave et saint homme, m’offrait pour retourner à Rome ! La discipline de l’Église, l’institution des évêques, ne lui étaient plus rien, s’il pouvait à ce prix redevenir prince temporel. Aujour-