Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/692

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Directoire : il n’avait point les qualités nécessaires pour cette place ; il fit mieux que ceux qui le connaissaient n’attendaient de lui.

« Il donna de l’éclat à sa maison ; il avait un train de chasse, et faisait une dépense considérable. Quand il sortit du Directoire, au 18 brumaire, il lui restait encore une grande fortune ; il ne la dissimulait pas. Cette fortune n’était pas, il s’en faut, de nature à avoir influé sur le dérangement des finances ; mais la manière dont il l’avait acquise, en favorisant les fournisseurs, altéra la morale publique.

« Barras était d’une haute stature ; il parla quelquefois dans des moments d’orage, et sa voix couvrait alors la salle. Ses facultés morales ne lui permettaient pas d’aller au-delà de quelques phrases. La passion avec laquelle il parlait l’aurait fait prendre pour un homme de résolution, il ne l’était point ; il n’avait aucune opinion faite sur aucune partie de l’administration publique.

« En fructidor il forma, avec Rewbell et La Reveillère-Lepaux, la majorité contre Carnot et Barthélemi ; après cette journée, il fut en apparence l’homme le plus considérable du Directoire ; mais en réalité c’était Rewbell qui avait la véritable influence des affaires. Barras soutint constamment en public le rôle d’un ami chaud de Napoléon. Lors du 30 prairial, il eut l’adresse de se concilier le parti dominant dans l’assemblée, et ne partagea pas la disgrâce de ses collègues.

« La Reveillère-Lepaux, natif d’Angers, était de la très petite bourgeoisie, petit, bossu, de l’extérieur le plus désagréable qu’on puisse imaginer : c’était un véritable Ésope. Il écrivait passablement ; son esprit était de peu d’étendue, il n’avait ni l’habitude des affaires ni la connaissance des hommes. Il fut alternativement dominé, selon les temps, par Carnot et Rewbell. Le jardin des Plantes et la théophilanthropie, nouvelle religion dont il avait la manie de vouloir être fondateur, faisaient toute son occupation. Du reste, il était patriote chaud et sincère, honnête homme, citoyen probe et instruit ; il entra pauvre au Directoire et en sortit pauvre. La nature ne lui avait accordé que les qualités d’un magistrat subalterne. »

Napoléon, après son retour de l’armée d’Italie, se trouva, sans qu’il en pût deviner la cause, l’objet tout particulier du soin, de l’attention et des cajoleries du directeur La Reveillère, qui un jour lui offrit un dîner strictement en famille, et cela, disait-il, pour être plus ensemble. Le jeune général l’accepta ; et en effet il ne s’y trouvait que la femme et la fille du directeur ; et tous les trois, par parenthèse, disait l’Empereur,