Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/699

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faisait observer l’Empereur, ressortait tout naturellement d’une profonde méditation sur les circonstances actuelles de la France. Le général n’avait donc rien à faire qu’à laisser aller les évènements et seconder l’impulsion naturelle de ses troupes. De là l’adresse de l’armée d’Italie et le fameux ordre du jour de son général.

« Soldats, je le sais, disait-il, votre cœur est plein d’angoisses sur les malheurs de la patrie ; mais si les menées de l’étranger pouvaient l’emporter, nous volerions du sommet des Alpes, avec la rapidité de l’aigle, pour défendre cette cause qui nous a déjà coûté tant de sang. »

« Ces mots décidèrent la question. Les soldats, en délire, voulaient tous marcher sur Paris ; le contrecoup en retentit aussitôt dans la capitale. Il s’y fit une véritable explosion ; et le Directoire, que chacun croyait perdu, qui l’instant d’auparavant chancelait seul et abandonné, se trouva tout à coup fort de l’opinion publique ; il prit aussitôt l’attitude et la marche d’un parti triomphant ; il terrassa à l’instant tous ses ennemis.

« Le général de l’armée d’Italie avait fait porter l’adresse de ses soldats au Directoire par Augereau, parce qu’il était de Paris, et fort prononcé dans les idées du moment.

« Cependant les politiques du temps se demandèrent : Qu’aurait fait Napoléon si les Conseils l’eussent emporté ? si cette faction, qui fut vaincue, avait au contraire culbuté le Directoire ? Dans ce cas, il paraît qu’il était décidé à marcher sur Lyon et Mirbel avec quinze mille hommes. Là se fussent aussitôt ralliés à lui tous les républicains du midi et de la Bourgogne. Les Conseils, victorieux, n’auraient pas été trois ou quatre jours sans se diviser violemment ; car si ses membres étaient uniformes dans leur marche contre le Directoire, on savait qu’ils étaient loin de l’être dans le but ultérieur qu’ils se proposaient. Les meneurs, tels que Pichegru, Imbert-Colomès et autres, vendus à l’étranger, poussaient violemment au royalisme et à la contre-révolution, tandis que Carnot et autres voulaient des résultats tout à fait contraires. La confusion et l’anarchie n’eussent donc pas manqué d’être aussitôt dans l’État. Alors toutes les classes des citoyens, toutes les factions auraient vu avec plaisir dans Napoléon une ancre de salut, un point de ralliement, seul propre à sauver tout à la fois et de la terreur royale et de la terreur démagogique. Il devait donc arriver facilement à Paris, et s’y trouver naturellement porté à la tête des affaires par le vœu et l’assentiment de tous les partis. La majorité des Conseils était forte et positive, à la vérité, mais c’était uniquement