Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/698

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« Un tel état de choses amoncela bientôt un orage politique, et l’on marcha à grands pas vers la crise de fructidor.

« À cette époque, la manière du Directoire continuait d’être molle, capricieuse, incertaine. Des émigrés rentrés, des journalistes aux gages de l’étranger, flétrissaient audacieusement les meilleurs patriotes. La rage des ennemis de la gloire nationale irritait, exaspérait les soldats de l’armée d’Italie ; ceux-ci se prononçaient hautement contre eux. Les Conseils, de leur côté, ne parlaient plus que prêtres, cloches et émigrés ; ils agissaient en vrais contre-révolutionnaires : aussi tous les officiers de l’armée qui avaient plus ou moins marqué dans les départements, dans les bataillons volontaires, ou même dans les troupes de ligne, se sentant attaqués dans ce qui les touchait de plus près, irritaient encore la colère de leurs soldats ; tous les esprits étaient enflammés.

« Dans une circonstance aussi orageuse, quel parti devait prendre le général de l’armée d’Italie ? Il s’en présentait trois :

« 1° Se ranger du parti dominant dans les Conseils ? Mais il était déjà trop tard ; l’armée se prononçait, et les meneurs du parti, les orateurs du Conseil, en l’attaquant sans cesse, lui et l’armée, ne lui laissaient plus la possibilité de prendre cette résolution.

« 2° De prendre le parti du Directoire et de la république ? C’était le plus simple, celui du devoir, l’impulsion de l’armée, celui même où l’on se trouvait déjà engagé : car tous les écrivains restés fidèles à la révolution s’étaient déclarés d’eux-mêmes les ardents défenseurs et les apologistes zélés de l’armée et de son chef.

« 3° De dominer les deux factions, en se présentant franchement dans la lutte comme régulateur de la république ? Mais, quelque fort que Napoléon se sentît de l’appui des armées, quelque accrédité qu’il fût en France, il ne pensait pas qu’il fût encore dans l’esprit du temps, ni dans l’opinion publique, de lui permettre une marche aussi audacieuse. Et d’ailleurs, quand ce troisième parti eût été son but secret, il n’eût pu y arriver immédiatement, et sans avoir au préalable épousé un des deux partis qui se partageaient en ce moment l’arène politique. Il fallait de nécessité d’abord se ranger ou du côté des Conseils ou du côté du Directoire, lors même qu’on eût voulu former un tiers parti.

« Ainsi des trois partis à prendre, le troisième, pour son exécution, rentrait dans l’un des deux premiers. Depuis le renouvellement des Conseils et l’attaque déjà formée par eux contre Napoléon, l’un des deux autres, le premier, lui était absolument interdit. Cette analyse,