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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/703

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ne présentent jamais une affaire comme de leur nation à une autre nation, mais bien comme d’eux-mêmes à leur propre nation, s’embarrassant peu de ce qu’ont dit ou de ce que disent leurs adversaires ; ils présentent hardiment ce qu’ont dit leurs agents diplomatiques, ou ce qu’ils leur font dire, se retranchant sur ce que ces agents ayant un caractère public, étant notariés, ils doivent avoir titre de foi dans leurs rapports. C’est ainsi, faisait-il observer, que les ministres anglais avaient dans le temps publié une longue conversation avec moi, Napoléon, sous le nom de lord Whitworth, laquelle était entièrement fausse[1]. »

Cet ambassadeur avait sollicité une audience du Premier Consul et des communications personnelles. Le Premier Consul, qui lui-même aimait à traiter directement les affaires, s’y prêta volontiers. « Mais ce fut pour moi, disait l’Empereur, une leçon qui changea ma méthode pour jamais. À compter de cet instant, je ne traitai plus officiellement d’affaires politiques que par l’intermédiaire de mon ministre des relations extérieures. Celui-là du moins pouvait donner un démenti authentique et formel ; le souverain ne le pouvait pas.

« Il est entièrement faux, continuait l’Empereur, que notre entrevue personnelle ait eu rien qui sortît des bienséances accoutumées. Lord Whitworth lui-même, au sortir de la conférence, se trouvant avec d’autres ambassadeurs, leur dit en avoir été très satisfait, et qu’il ne doutait pas que toutes nos affaires ne se terminassent bien. Or quel ne fut pas l’étonnement de ces mêmes ambassadeurs lorsqu’ils lurent à quelque temps de là dans les papiers anglais le rapport de lord Whitworth, dans lequel il m’accusait de m’être livré à des emportements extrêmes et inconvenants ! Nous avions alors des amis chauds parmi ces ambassadeurs, et quelques-uns furent jusqu’à témoigner leur surprise au diplomate anglais, en lui rappelant que cela ressemblait peu à ce qu’il leur avait dit au sortir de la conférence même. Lord Whitworth escobarda comme il put, mais n’en maintint pas moins les assertions du document officiel.

« Le fait, ajoutait l’Empereur, est que tous les agents politiques anglais sont dans le cas de faire deux rapports sur le même objet : l’un public et faux pour les archives ministérielles, l’autre confidentiel et

  1. Nous tous qui avons été à Sainte-Hélène, nous tous qui avons vu et avons été pour quelque chose dans les faits allégués au parlement d’Angleterre par lord Bathurst, nous pouvons affirmer devant Dieu et devant les hommes que les ministres anglais n’ont pas cessé de mériter les justes reproches encourus au temps de lord Whitworth. Nombre d’Anglais, sur les lieux mêmes, en sont demeurés d’accord avec nous, et en ont rougi, ont-ils dit, pour leur pays !!!…